vendredi 25 avril 2014

La culture profite-t-elle à l'homme ?

    La culture désigne deux réalités liées : il s’agit d’abord d’un ensemble de connaissances, théoriques et pratiques, dans différents domaines (scientifique, artistique, philosophique) qui distingue l’homme cultivé de l’inculte, le savant de l’ignorant. D’autre part, la culture est également un processus, le fait de cultiver, comme on cultive un champ, c’est-à-dire de mettre en valeur la nature en la transformant. En ce qui concerne l’individu, la culture, par l’éducation, peut l’amener de sa sauvagerie naturelle, innée, à la civilité, au monde des hommes civilisés. La culture semble donc être bénéfique à l’individu en cela qu’elle lui permet de s’éloigner de sa bestialité naturelle en entrant dans l’état civil par l’éducation qui le fait sortir de son état primaire. Ce bénéfice ne profite alors pas seulement à l’individu particulier : en effet, la communauté, le groupe humain, la société tire profit de la culture en cela qu’en permettant le refoulement des pulsions animales des individus la culture permet l’établissement d’un ordre social réglé, organisé, qui peut alors gagner en rationalité. Ayant alors apaisé les tensions en favorisant l’organisation sociale, la culture profite donc, par le biais de l’individu et de la société, à l’humanité toute entière qui peut alors raisonnablement rechercher la vertu et, par-là, le sens de l’existence dans un environnement pacifié. La culture ne semble pas seulement profitable en cela qu’elle permette la sécurité nécessaire à la réflexion morale et existentielle : en effet, favoriser le développement des connaissances humaines permet le progrès technique qui permettra, par la suite, la prospérité économique. La culture semble donc avoir une dimension utilitaire en ce qui concerne la sécurité, le progrès technique, et la prospérité financière, ce qui touche l’homme, c’est-à-dire l’individu, la société, et l’humanité en général. La compréhension du monde permise par la culture permet également l’élaboration d’une morale. Ainsi, la culture, par la compréhension, peut servir le bien moral.
Cependant, bien que par tous ces aspects (social, technique, économique et moral) la culture semble être profitable à l’homme, qu’on le considère dans son individualité, dans sa communauté, ou dans son humanité, il apparaît comme étant légitime de se demander si l’on peut décemment parler de « profit » lorsque l’on parle de culture. En effet, est-ce bénéfique d’avoir donné à la nature orgueilleuse de l’homme l’occasion de se donner en spectacle lors de l’étalage d’une culture encyclopédique pour que l’individu cultivé puisse mépriser la masse des incultes ? Est-ce cela le progrès permis par la culture ? Le progrès technique, bien qu’il puisse être utile à l’homme pour lui alléger sa charge de travail, est-il un progrès lorsque les machines remplacent les hommes au point de supprimer tout contact humain chaleureux ? Supprimer le rôle social du commerçant au profit d’un automate : est-ce cela le progrès ? Avoir la capacité technique de fabriquer autant d’armes pour détruire plusieurs fois notre planète : est-ce véritablement un profit pour l’homme ? La culture semble en tout point tendre à l’excès et donc à mettre en danger, voire à détruire ce qu’elle prétendait développer. La culture de la terre n’est plus la valorisation de la nature mais est devenue la destruction de celle-ci par l’exploitation intensive des ressources.
Ainsi, la culture, considérée comme ensemble de connaissances et comme processus de sortie de l’état de nature, semble, certes bénéfique, mais avec une tendance à l’excès qui la rend dangereuse.
    La question est alors de savoir si le fait de disposer d’un ensemble de connaissances théoriques et pratiques qui nous distinguent alors de l’animal permet à l’homme (individu, société, humanité) de s’engager dans la voie du progrès (scientifique, social, technique, économique, moral), ou bien s’il n’y aurait pas, dans l’essence même de la culture (et, donc, dans l’essence même de l’homme) une tendance à l’excès qui viendrait menacer ce qui était censé progresser grâce à la culture.
    Afin de répondre à cette question, nous devrons d’abord voir en quels domaines la connaissance et la sortie de l’état de nature peuvent constituer un bénéfice pour l’homme considéré alors selon les trois plans que sont l’individuel, le collectif et l’universel. Cependant, nous devrons également étudier la présence, dans la nature même de la culture et de l’homme en général, d’une tendance à l’excès qui viendrait menacer ce qui devrait alors être valorisé, mis en valeur. Enfin, nous noterons le caractère ambiguë de la culture que l’on pourra alors considérer tantôt comme un remède, tantôt comme un poison. Nous devrons également nous demander s’il est légitime de s’interroger sur la culture en termes de profit, c’est-à-dire dans une vision strictement utilitariste qui manquerait l’essence même de la culture qui serait d’être désintéressée, ce qui ferait sa grandeur.

I / La connaissance et la sortie de l’état de nature bénéfiques pour l’individu, la société, et l’humanité :

-          L’éducation de l’individu l’éloigne de ses pulsions bestiales.
-          La civilité sert l’ordre social : c’est la politesse.
-          La paix sociale favorise la réflexion, c’est-à-dire la recherche de la vertu, de la réalisation du bien moral, ce qui est bénéfique et noble pour l’humanité tout entière.
-          La connaissance permet le progrès technique, l’efficacité, ce qui permet la réussite économique (tant que le plan individuel que social, voire, mondial).
-          La connaissance permet la compréhension et, donc, la morale.


II / La culture tendrait essentiellement à l’excès :

-          L’individu cultivé étale sa culture pour mépriser l’autre et pour être glorifié par l’autre (voir : la nature humaine selon Hobbes ; Montaigne, Essais, « Du pédantisme »)
-          La politesse n’est qu’un vernis de parade qui nous éloigne des vertus rustiques (voir : Rousseau, Discours sur les sciences et les arts)
-          L’état civil ne fait pas disparaître les rapports de forces (voir : l’Etat selon Max Weber)
-          Le progrès technique tend à l’autonomisation de la technique et, de ce fait, à la sur-exploitation de la nature. De plus, le progrès technique favorise la capacité de destruction des hommes (voir : Paul Valéry)
-          La connaissance tend à devenir création de systèmes tellement abstraits qu’ils ne disent plus rien de la réalité.


III / La culture comme pharmakon ; Vers une culture désintéressée ?

-          La culture n’est qu’un instrument neutre (mythe de Prométhée).

-          Il serait illégitime de parler de profit, d’intérêt, lorsque l’on parle de culture : on ne doit pas apprendre pour que cela nous soit utile uniquement. La culture n’a pas à servir l’utilitarisme ambiant. La culture est, au contraire, un rempart contre le tout-utile : c’est l’art pour l’art, la connaissance pour la connaissance, la sensibilité littéraire pour elle-même, pour la beauté. La culture est donc une résistance à la modernité. 

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