La culture désigne deux réalités
liées : il s’agit d’abord d’un ensemble de connaissances, théoriques et
pratiques, dans différents domaines (scientifique, artistique, philosophique)
qui distingue l’homme cultivé de l’inculte, le savant de l’ignorant. D’autre
part, la culture est également un processus, le fait de cultiver, comme on
cultive un champ, c’est-à-dire de mettre en valeur la nature en la
transformant. En ce qui concerne l’individu, la culture, par l’éducation, peut
l’amener de sa sauvagerie naturelle, innée, à la civilité, au monde des hommes
civilisés. La culture semble donc être bénéfique à l’individu en cela qu’elle
lui permet de s’éloigner de sa bestialité naturelle en entrant dans l’état
civil par l’éducation qui le fait sortir de son état primaire. Ce bénéfice ne
profite alors pas seulement à l’individu particulier : en effet, la
communauté, le groupe humain, la société tire profit de la culture en cela
qu’en permettant le refoulement des pulsions animales des individus la culture
permet l’établissement d’un ordre social réglé, organisé, qui peut alors gagner
en rationalité. Ayant alors apaisé les tensions en favorisant l’organisation
sociale, la culture profite donc, par le biais de l’individu et de la société,
à l’humanité toute entière qui peut alors raisonnablement rechercher la vertu
et, par-là, le sens de l’existence dans un environnement pacifié. La culture ne
semble pas seulement profitable en cela qu’elle permette la sécurité nécessaire
à la réflexion morale et existentielle : en effet, favoriser le
développement des connaissances humaines permet le progrès technique qui
permettra, par la suite, la prospérité économique. La culture semble donc avoir
une dimension utilitaire en ce qui concerne la sécurité, le progrès technique,
et la prospérité financière, ce qui touche l’homme, c’est-à-dire l’individu, la
société, et l’humanité en général. La compréhension du monde permise par la
culture permet également l’élaboration d’une morale. Ainsi, la culture, par la
compréhension, peut servir le bien moral.
Cependant,
bien que par tous ces aspects (social, technique, économique et moral) la
culture semble être profitable à l’homme, qu’on le considère dans son
individualité, dans sa communauté, ou dans son humanité, il apparaît comme
étant légitime de se demander si l’on peut décemment parler de
« profit » lorsque l’on parle de culture. En effet, est-ce bénéfique
d’avoir donné à la nature orgueilleuse de l’homme l’occasion de se donner en
spectacle lors de l’étalage d’une culture encyclopédique pour que l’individu
cultivé puisse mépriser la masse des incultes ? Est-ce cela le
progrès permis par la culture ? Le progrès technique, bien qu’il
puisse être utile à l’homme pour lui alléger sa charge de travail, est-il un
progrès lorsque les machines remplacent les hommes au point de supprimer tout
contact humain chaleureux ? Supprimer le rôle social du commerçant au
profit d’un automate : est-ce cela le progrès ? Avoir la capacité
technique de fabriquer autant d’armes pour détruire plusieurs fois notre
planète : est-ce véritablement un profit pour l’homme ? La culture
semble en tout point tendre à l’excès et donc à mettre en danger, voire à
détruire ce qu’elle prétendait développer. La culture de la terre n’est plus la
valorisation de la nature mais est devenue la destruction de celle-ci par
l’exploitation intensive des ressources.
Ainsi,
la culture, considérée comme ensemble de connaissances et comme processus de
sortie de l’état de nature, semble, certes bénéfique, mais avec une tendance à
l’excès qui la rend dangereuse.
La question est alors de savoir si
le fait de disposer d’un ensemble de connaissances théoriques et pratiques qui
nous distinguent alors de l’animal permet à l’homme (individu, société,
humanité) de s’engager dans la voie du progrès (scientifique, social,
technique, économique, moral), ou bien s’il n’y aurait pas, dans l’essence même
de la culture (et, donc, dans l’essence même de l’homme) une tendance à l’excès
qui viendrait menacer ce qui était censé progresser grâce à la culture.
Afin de répondre à cette question,
nous devrons d’abord voir en quels domaines la connaissance et la sortie de
l’état de nature peuvent constituer un bénéfice pour l’homme considéré alors
selon les trois plans que sont l’individuel, le collectif et l’universel.
Cependant, nous devrons également étudier la présence, dans la nature même de
la culture et de l’homme en général, d’une tendance à l’excès qui viendrait
menacer ce qui devrait alors être valorisé, mis en valeur. Enfin, nous noterons
le caractère ambiguë de la culture que l’on pourra alors considérer tantôt
comme un remède, tantôt comme un poison. Nous devrons également nous
demander s’il est légitime de s’interroger sur la culture en termes de profit,
c’est-à-dire dans une vision strictement utilitariste qui manquerait l’essence
même de la culture qui serait d’être désintéressée, ce qui ferait sa grandeur.
I
/ La connaissance et la sortie de l’état de nature bénéfiques pour
l’individu, la société, et l’humanité :
-
L’éducation de
l’individu l’éloigne de ses pulsions bestiales.
-
La civilité sert
l’ordre social : c’est la politesse.
-
La paix sociale
favorise la réflexion, c’est-à-dire la recherche de la vertu, de la réalisation
du bien moral, ce qui est bénéfique et noble pour l’humanité tout entière.
-
La connaissance
permet le progrès technique, l’efficacité, ce qui permet la réussite économique
(tant que le plan individuel que social, voire, mondial).
-
La connaissance
permet la compréhension et, donc, la morale.
II / La culture tendrait
essentiellement à l’excès :
-
L’individu
cultivé étale sa culture pour mépriser l’autre et pour être glorifié par
l’autre (voir : la nature humaine selon Hobbes ; Montaigne, Essais, « Du pédantisme »)
-
La politesse
n’est qu’un vernis de parade qui nous éloigne des vertus rustiques (voir :
Rousseau, Discours sur les sciences et
les arts)
-
L’état civil ne
fait pas disparaître les rapports de forces (voir : l’Etat selon Max
Weber)
-
Le progrès
technique tend à l’autonomisation de la technique et, de ce fait, à la
sur-exploitation de la nature. De plus, le progrès technique favorise la
capacité de destruction des hommes (voir : Paul Valéry)
-
La connaissance
tend à devenir création de systèmes tellement abstraits qu’ils ne disent plus
rien de la réalité.
III / La culture comme pharmakon ; Vers une culture
désintéressée ?
- La culture n’est
qu’un instrument neutre (mythe de Prométhée).
-
Il serait
illégitime de parler de profit, d’intérêt, lorsque l’on parle de culture :
on ne doit pas apprendre pour que cela nous soit utile uniquement. La culture
n’a pas à servir l’utilitarisme ambiant. La culture est, au contraire, un
rempart contre le tout-utile : c’est l’art pour l’art, la connaissance pour
la connaissance, la sensibilité littéraire pour elle-même, pour la beauté. La
culture est donc une résistance à la modernité.
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