samedi 26 avril 2014

Ce que je perçois est-il réel ?

    Nous ne remettons que rarement en question notre perception tel que nous y invite la question ici posée. Par perception, entendons la traduction, opérée par notre esprit, des informations envoyées par nos sens, par nos organes sensoriels qui permettent la sensation. En effet, si mon sens du toucher m’indique que je touche actuellement une table, nous avons naturellement tendance à faire confiance à l’interprétation faite par notre esprit, qui consiste à poser l’existence effective de cette table. Pourquoi irai-je mettre en doute ce que m’indique mes sens et ce qu’en traduit mon esprit ? Si mon corps m’indique une blessure, mon esprit en traduira de la douleur, ce qui attestera, pour lui, l’existence effective de cette blessure.
Pourtant, mon esprit ne peut-il pas se tromper lors de la traduction des informations des sens ? Par exemple, lorsque l’infirmière s’apprête à me piquer pour une prise de sang, n’ai-je pas l’illusion de la sensation de piqûre avant même que l’aiguille n’ait touché ma peau ? L’illusion est ici une croyance fausse en une sensation qui n’a pas lieu. C’est le rôle même de l’esprit (celui de traducteur des sensations) qui peut l’amener à mal traduire une information des sens ou à croire qu’il y a une information à traduire alors qu’il n’y en a pas. Lorsque l’esprit traduit mal, nous avons le cas d’une illusion sensorielle, comme une illusion d’optique par exemple. L’esprit croit à quelque chose, alors que les sens, pourtant, nous indiquent autre chose : c’est, par exemple, ce qui se passe lorsque l’on regarde et que l’on se fait piéger par un trompe-l’œil.
Cependant, nous avons défini la perception comme étant, d’une part, ce que nous indiquent nos sens, et, d’autre part, ce qu’en traduit notre esprit. Si la traduction effectuée par notre esprit peut nous induire en erreur dans les cas d’illusion, il est peut-être tout aussi légitime de mettre en question la réalité des informations sensorielles. En effet, de même que notre perception puisse être faussée par notre esprit qui perçoit, celle-ci peut l’être également par ce qui est perçu par le biais de nos sens. Il ne s’agit alors plus d’être dans l’illusion (d’optique, par exemple), mais de croire percevoir la réalité alors que nous ne percevons que des choses sensibles. Comment une chose sensible, éphémère, changeante, peut-elle être qualifiée de réalité ? La réalité n’est-elle pas plutôt d’un autre ordre, dans ce qui ne change pas, au-delà de ce qui change ? Est-ce légitime d’appeler une chose sentie (comme la table, par exemple) une réalité ? Ainsi, ce n’est pas que l’interprétation proposée par l’esprit qui est à mettre en doute : il y a également les informations interprétées, c’est-à-dire la matière première de la perception, à savoir le sensible.
            La question est alors de savoir si ce que mon esprit interprète des informations sensorielles correspond bien à ce qui est senti et si ce qui est senti correspond bien à la réalité, ou bien si, du fait que mon esprit soit un interprète, il ne déforme pas nécessairement ce qu’il a à traduire, et si la réalité qui devrait entrer en mon esprit (s’il veut la vérité) ne correspond pas à un autre ordre que le sensible.
            Afin de répondre à cette question, il conviendra d’abord de laisser une place à la bonne interprétation et à la réalité de ce qui est senti. Cependant, nous devrons voir que, dans la plupart des cas, l’esprit traduit mal ce qu’il reçoit et que ce qu’il reçoit traduit mal la réalité. Enfin, nous noterons que, de ce fait, nous sommes enfermés en notre esprit et que le seul moyen d’accéder à la vérité serait de sortir de nous-mêmes.

I / La bonne interprétation et la réalité du senti :

La bonne interprétation :

« C’est moi, l’homme intérieur, qui en ait pris connaissance, moi, moi l’esprit, par les sens de mon corps. »
Saint-Augustin, Confessions, X, VI, 9, EA, Pages 157 à 159

La réalité du senti :

« Rien n’est dans l’esprit qui ne fût d’abord dans les sens. »
Aristote

« Ce que nous appelons sensation est à l’origine de toutes les pensées. En effet, l’esprit humain ne conçoit rien qui n’ait d’abord été, en totalité ou en partie, engendré par les organes des sens. Tout le reste est dérivé de cette origine. »
Hobbes, Léviathan, 1651

« Nous sentons avant de connaître. »
Rousseau

« Autant nos sensations peuvent s’étendre, autant la sphère de nos connaissances peut s’étendre ; au-delà toute découverte nous est interdite. »
Condillac (1715 – 1780)

Exemple de connaissance permise par les sens : l’étendue.

« L’étendue des corps ne se connaît que par les sens »
Newton, Principia, III, Règle III


II / La mauvaise traduction et les mauvais sens :

Les mauvais sens :

« Ce sont si l’on veut cinq fenêtres par lesquelles notre âme voudroit se donner du jour ; mais les fenêtres sont petites, le vitrage est terne, le mur épais, et la maison fort mal éclairée. »
Rousseau, Lettres morales, Lettres à Sophie, Lettre 3

« ils nous trompent et jamais nous ne pouvons être surs de trouver la vérité par eux. »
Ibid.

« L’un et l’autre ont aussi les défauts des facultés qu’ils représentent. Plus l’œil se fixe a des objets éloignés plus il est sujet aux illusions d’optique, et la main toujours attachée à quelque partie ne sauroit embrasser un grand tout. Il est certain que la vüe est de tous nos sens celui dont nous recevons à la fois le plus d’instructions et le plus d’erreurs, c’est par elle que nous jugeons de presque toute la nature et c’est elle qui nous suggère presque tous nos faux jugemens. »
Ibid.

« Ce n’est pas tant le raisonnement qui nous manque que la prise du raisonnement. L’esprit de l’homme est en état de beaucoup faire mais les sens lui fournissent peu de matériaux »
Ibid.

« Pourquoi ne pouvons nous savoir ce que c’est qu’esprit et matiére ? Parce que nous ne savons rien que par nos sens, et qu’ils sont insuffisans pour nous l’apprendre. Sitot que nous voulons déployer nos facultés nous les sentons toutes contraintes par nos organes ; la raison même soumis aux sens est comme eux en contradiction avec elle-même »
Ibid.

« l’ame humaine comprimée dans un corps qui géne la plus part de ses facultés veut à chaque instant forcer sa prison et joint une audace presque divine à la foiblesse de l’humanité »
Ibid.

Ainsi, pourtant, nous souhaiterions aller au-delà des sens pour nous élever à la connaissance de l’esprit immatériel, de l’âme.

-          La sortie du corps (Socrate, Platon, Plotin).


La mauvaise traduction :

-          Kant : l’esprit est prisonnier de filtres conceptuels, notamment l’espace et le temps.
-          Du doute méthodique cartésien au solipsisme à cause des illusions sensorielles.


III / Du solipsisme à l’élévation.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire