Pourtant,
mon esprit ne peut-il pas se tromper lors de la traduction des informations des
sens ? Par exemple, lorsque l’infirmière s’apprête à me piquer pour une
prise de sang, n’ai-je pas l’illusion de la sensation de piqûre avant même que
l’aiguille n’ait touché ma peau ? L’illusion est ici une croyance fausse en une
sensation qui n’a pas lieu. C’est le rôle même de l’esprit (celui de traducteur
des sensations) qui peut l’amener à mal traduire une information des sens ou à
croire qu’il y a une information à traduire alors qu’il n’y en a pas. Lorsque
l’esprit traduit mal, nous avons le cas d’une illusion sensorielle, comme une
illusion d’optique par exemple. L’esprit croit à quelque chose, alors que les
sens, pourtant, nous indiquent autre chose : c’est, par exemple, ce qui se
passe lorsque l’on regarde et que l’on se fait piéger par un trompe-l’œil.
Cependant,
nous avons défini la perception comme étant, d’une part, ce que nous indiquent
nos sens, et, d’autre part, ce qu’en traduit notre esprit. Si la traduction
effectuée par notre esprit peut nous induire en erreur dans les cas d’illusion,
il est peut-être tout aussi légitime de mettre en question la réalité des
informations sensorielles. En effet, de même que notre perception puisse être
faussée par notre esprit qui perçoit, celle-ci peut l’être également par ce qui
est perçu par le biais de nos sens. Il ne s’agit alors plus d’être dans
l’illusion (d’optique, par exemple), mais de croire percevoir la réalité alors
que nous ne percevons que des choses sensibles. Comment une chose sensible,
éphémère, changeante, peut-elle être qualifiée de réalité ? La réalité
n’est-elle pas plutôt d’un autre ordre, dans ce qui ne change pas, au-delà de
ce qui change ? Est-ce légitime d’appeler une chose sentie (comme la
table, par exemple) une réalité ? Ainsi, ce n’est pas que l’interprétation
proposée par l’esprit qui est à mettre en doute : il y a également les
informations interprétées, c’est-à-dire la matière première de la perception, à
savoir le sensible.
La question est alors de savoir si
ce que mon esprit interprète des informations sensorielles correspond bien à ce
qui est senti et si ce qui est senti correspond bien à la réalité, ou bien si,
du fait que mon esprit soit un interprète, il ne déforme pas nécessairement ce
qu’il a à traduire, et si la réalité qui devrait entrer en mon esprit (s’il
veut la vérité) ne correspond pas à un autre ordre que le sensible.
Afin de répondre à cette question,
il conviendra d’abord de laisser une place à la bonne interprétation et à la
réalité de ce qui est senti. Cependant, nous devrons voir que, dans la plupart
des cas, l’esprit traduit mal ce qu’il reçoit et que ce qu’il reçoit traduit
mal la réalité. Enfin, nous noterons que, de ce fait, nous sommes enfermés en
notre esprit et que le seul moyen d’accéder à la vérité serait de sortir de
nous-mêmes.
I
/ La bonne interprétation et la réalité du senti :
La
bonne interprétation :
« C’est
moi, l’homme intérieur, qui en ait pris connaissance, moi, moi l’esprit, par
les sens de mon corps. »
Saint-Augustin, Confessions, X, VI, 9, EA, Pages 157 à 159
La
réalité du senti :
« Rien n’est dans l’esprit qui ne fût d’abord dans les
sens. »
Aristote
« Ce que
nous appelons sensation est à
l’origine de toutes les pensées. En effet, l’esprit humain ne conçoit rien qui
n’ait d’abord été, en totalité ou en partie, engendré par les organes des sens.
Tout le reste est dérivé de cette origine. »
Hobbes, Léviathan, 1651
« Nous
sentons avant de connaître. »
Rousseau
« Autant nos sensations peuvent s’étendre, autant la
sphère de nos connaissances peut s’étendre ; au-delà toute découverte nous est
interdite. »
Condillac (1715 – 1780)
Exemple
de connaissance permise par les sens : l’étendue.
« L’étendue des corps ne se connaît que
par les sens »
Newton, Principia,
III, Règle III
II
/ La mauvaise traduction et les mauvais sens :
Les
mauvais sens :
« Ce sont
si l’on veut cinq fenêtres par lesquelles notre âme voudroit se donner du
jour ; mais les fenêtres sont petites, le vitrage est terne, le mur épais,
et la maison fort mal éclairée. »
Rousseau, Lettres morales, Lettres à Sophie,
Lettre 3
« ils nous
trompent et jamais nous ne pouvons être surs de trouver la vérité par
eux. »
Ibid.
« L’un et
l’autre ont aussi les défauts des facultés qu’ils représentent. Plus l’œil se
fixe a des objets éloignés plus il est sujet aux illusions d’optique, et la
main toujours attachée à quelque partie ne sauroit embrasser un grand tout. Il
est certain que la vüe est de tous nos sens celui dont nous recevons à la fois
le plus d’instructions et le plus d’erreurs, c’est par elle que nous jugeons de
presque toute la nature et c’est elle qui nous suggère presque tous nos faux
jugemens. »
Ibid.
« Ce n’est
pas tant le raisonnement qui nous manque que la prise du raisonnement. L’esprit
de l’homme est en état de beaucoup faire mais les sens lui fournissent peu de
matériaux »
Ibid.
« Pourquoi
ne pouvons nous savoir ce que c’est qu’esprit et matiére ? Parce que nous
ne savons rien que par nos sens, et qu’ils sont insuffisans pour nous
l’apprendre. Sitot que nous voulons déployer nos facultés nous les sentons
toutes contraintes par nos organes ; la raison même soumis aux sens est
comme eux en contradiction avec elle-même »
Ibid.
« l’ame
humaine comprimée dans un corps qui géne la plus part de ses facultés veut à
chaque instant forcer sa prison et joint une audace presque divine à la
foiblesse de l’humanité »
Ibid.
Ainsi,
pourtant, nous souhaiterions aller au-delà des sens pour nous élever à la
connaissance de l’esprit immatériel, de l’âme.
-
La sortie du corps (Socrate, Platon, Plotin).
La
mauvaise traduction :
-
Kant :
l’esprit est prisonnier de filtres conceptuels, notamment l’espace et le temps.
-
Du doute méthodique cartésien au
solipsisme à cause des illusions sensorielles.
III
/ Du solipsisme à l’élévation.
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