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Suffit-il d’avoir le choix pour être libre ?
Ne
pas avoir le choix, c’est-à-dire être contraint de suivre la seule voie
possible, ne semble pas correspondre à l’idée que l’on se fait communément de
la liberté. Si un seul chemin s’offre à nous, il semble absurde de dire que
nous sommes libres de choisir le chemin à suivre. L’être libre est plutôt celui
qui a la possibilité de se déterminer volontairement pour suivre une voie parmi
plusieurs possibles.
Pourtant, celui qui subit un
système répressif, ou celui qui est contraint de travailler pour subsister,
semble avoir le choix entre plusieurs possibilités. En cela, il semble libre. En
effet, l’esclave peut soit obéir soit désobéir, comme le travailleur peut
soit travailler, soit cesser son activité. Dans les deux cas, la solution la
plus radicale semble toujours être un choix possible : le suicide.
Cependant, la désobéissance, la
cessation d’activité, le suicide : sont-ce vraiment là des choix possibles ?
Le choix, pour être recevable, c’est-à-dire compris dans la liste des choix
possibles qui s’offrent à l’être libre, doit alors coexister avec la survie de
celui qui choisit. Ainsi, il ne semble pas suffire d’avoir seulement le choix
entre plusieurs possibilités pour être libre : il faut encore que les
choix qui nous sont offerts soient viables, c’est-à-dire qu’ils ne viennent pas
contrevenir à notre survie.
De plus, la véritable liberté se
limite-t-elle au fait d’avoir le choix ? Ne faut-il pas également choisir ?
Certes, pour choisir, il faut avoir le choix, mais avoir le choix n’est que la
condition, certes nécessaire, mais non suffisante pour être pleinement libre.
En effet, quelqu’un qui se contenterait d’avoir le choix ne pourrait être
qualifié de libre, n’ayant jamais mis en œuvre sa liberté.
Ainsi,
les questions qu’il faudra ici se poser sont : Le seul fait d’avoir le
choix permet-il la liberté ? Ne faut-il pas que les différents choix
possibles soient valables, en accord avec la survie de celui qui choisit ?
Et, peut-on être véritablement qualifié d’être libre si l’on se contente d’avoir
le choix sans choisir ?
Afin
de répondre à ces questions, nous dirons que, pour que nous soyons
véritablement libres, les possibilités qui nous sont offertes doivent être valides.
Par la suite, nous noterons que nous ne pouvons nous contenter d’avoir le choix
sans choisir si nous voulons véritablement être libres. Enfin, nous relèverons que
nos choix, même influencés, restent libres.
I
/ La nécessité de la validité du choix :
A / La nécessité de la survie de
celui qui choisit après le choix :
Ainsi, la désobéissance, la cessation
d’activité, et plus particulièrement le suicide ne sont pas des possibilités d’action
valides, du moins dans certaines circonstances en ce qui concerne les deux premières possibilités.
B / La nécessité de la survie morale
de celui qui choisit après le choix :
Celui qui choisit doit pouvoir
encore se regarder dans la glace après son choix.
C / La nécessité de la survie
spirituelle de celui qui choisit après le choix :
D’un point de vue religieux, celui
qui choisit ne doit pas pécher, sous peine de mettre en danger le salut de son
âme. Ainsi, tous les choix ne sont pas possibles selon les croyances.
II
/ Etre libre n’est pas avoir le choix : c’est choisir.
A / La liberté d’indifférence n’est
pas la véritable liberté :
Les exemples cartésiens :
- - L’âne de
Buridan.
- - Le promeneur
perdu en forêt.
La liberté d’indifférence :
« La liberté est la puissance infinie d’affirmer ou de
nier, de faire ou de ne pas faire les choses que notre entendement nous propose
(quelles qu’elles soient) et quelque soit la manière dont nous les concevons
initialement. »
Descartes
« La liberté d’indifférence est
le plus bas degré de la liberté. »
Ibid., Méditations métaphysiques, IV ; Lettre au Père Mesland, mai 1644
« Moralement absurde,
métaphysiquement possible. »
Ibid., Méditations métaphysiques, IV
B / La liberté doit s’inscrire dans
la contingence par la décision, par l’action :
L’existentialisme sartrien.
« On appelle liberté le rapport
du moi concret à l’acte qu’il accomplit. »
Bergson (1859 – 1941), Essai
sur les Données immédiates de la Conscience, 1889, Chapitre III
C / Avoir le choix : condition
nécessaire, mais non suffisante de la liberté.
III
/ La décision libre peut être influencée :
Leibniz : les petites
perceptions nous influencent inconsciemment, ce qui ne nous prive pas de notre
liberté de notre point de vue. De la même manière, nos décisions sont d’ores et
déjà pré-vues par Dieu qui a pré-établi l’ordre providentiel des événements, ce
qui, de notre point de vue, pour nous, ne nous prive pas de notre liberté :
« Nous sommes libres dans
les mains de Dieu, Monarque des Esprits. »
Yvon Belaval (1908 – 1988), Leibniz,
initiation à sa philosophie, 1961, Chapitre VI : « Vers
l’achèvement du système (1677 – 1686) »
