Nous avons
opposé la culture à la nature.
La transposition en français de l’allemand « Kultur » signifie la civilisation par opposition à
l’état sauvage.
Tout ce
qui est culturel n’est pas naturel mais est ce qui est proprement humain :
« Le monde de l’homme est le monde de la
culture, et celle-ci s’oppose à la nature avec la même rigueur, quel que soit
le niveau des civilisations considérées. »
Claude Lévi-Strauss (1908 – 2009)
Ainsi, il
n’est pas ici question de hiérarchiser les différentes cultures. La culture,
c’est la civilisation :
- Civilisation :
« l’acception propre est ce qui rend civil »
Joubert
La culture est l'ensemble de phénomènes sociaux
propres à une société ou à un groupe de sociétés.
La
distinction conceptuelle entre la culture et la nature pourra s’étudier par le
prisme de deux plans distincts : celui de l’individu et celui de la
communauté humaine prise dans son ensemble. Il s’agit toujours d’aller du
particulier au général.
I / Le plan individuel :
A / L'éducation :
La culture
est une action à réaliser, un processus à mettre en œuvre. Il s'agit de ne plus
vivre comme un animal soumis à ses instincts naturels, bestiaux, au
déterminisme naturel. Un homme cultivé est un homme qui ne vit pas comme un
animal mais qui a dompté la nature, sa nature, par l'habitude, par des
exercices réguliers. D'être bestial, à force d'habitudes acquises, l'homme
devient homme cultivé : c'est là la grandeur de l'homme, sa dignité. Ici, la
liberté est à considérer comme l’état dans lequel nous ne serions pas
déterminés par la nature à nous comporter de telle ou telle manière. S'il y a
liberté, la nature n’est donc pas indomptable. La nature, qui nous fournit un
caractère, des traits de personnalité, n’est pas indomptable, irrépressible. Ici,
l'habitude produit comme une « seconde nature » (Pascal ; Montaigne).
L'éducation, qui, étymologiquement, vient d'educere
qui signifie « conduire hors de », est ce qui produit cette seconde nature.
L’éducation comprend nécessairement un rapport à l’altérité. En effet, comment
pourrions-nous nous cultiver nous-mêmes, nous sortir nous-mêmes de notre état
de nature ? Il faut nécessairement un être extérieur à nous-mêmes qui
vienne nous cultiver, nous sortir de notre état de nature, bref, nous éduquer.
Ainsi, il nous faut nécessairement quelqu’un pour nous conduire hors de notre
nature. On ne s’éduque pas soi-même.
« L’éducateur est
le démiurge de l’enfance. »
Nicolas Grimaldi, L’ardent
sanglot
La culture, c’est l’action de cultiver, de mettre en
valeur la terre ou l’homme. C’est le fait de prodiguer un ensemble de soins en
vue d’assurer soit la production d’une plante, soit l’élévation d’un être
humain au-dessus de l’état de nature considéré comme état brut de naissance.
Pourtant,
il y a bien des autodidactes :
- Autodidacte : Qui s’est instruit lui-même.
En ce qui
concerne l’objection de l’autodidacte que l’on pourrait faire ici, l’éducation
est toujours, même pour lui, un rapport à l’altérité, bien que cette altérité
soit constituée à l’intérieur de lui-même. En effet, comme le dit Platon, « la pensée est un dialogue de
l’âme avec elle-même. » :
« La pensée est un discours que l’âme se tient à
elle-même sur les objets qu’elle examine. »
Platon, Théétète
A proprement
parler, aucun être humain n’est susceptible de s’instruire entièrement
lui-même. Seul Dieu y est contraint par sa nature même. Etant à la fois
Créateur du monde et omniscient, Il est l’Autodidacte absolu.
- L'éducation est contre la prédominance du corps :
L’éducation
est contre la prédominance du corps. L'éducation ne s’adressera donc pas à ce
qui est naturel chez l’individu. L’éducateur cherchera, au contraire, en
quelque sorte, à faire oublier à l’élève qu’il est soumis à un corps naturel
nécessiteux.
Cependant,
la culture n’éradique pas la nature, mais les deux coexistent au point que la
culture utilise la nature. La culture n’est pas l’anéantissement total de la
nature. Un homme civilisé n’en reste pas moins un homme avec ses besoins
naturels. L’homme, bien qu’étant, grâce à lui, devenu être de culture, n’en
reste pas moins un individu naturel. La culture ne s’oppose donc pas aussi
radicalement à la nature. En effet, la culture est plutôt bâtie sur la
naturalité de l’homme. Il n’y a pas véritablement passage d’un état A à un état
B dans lequel il ne resterait plus rien du premier. La culture est comme une
construction qui vient compléter la nature :
« La culture n’est ni simplement juxtaposée, ni
simplement superposée à la vie. En un sens, elle se substitue à la vie, en un
autre elle l’utilise et la transforme, pour réaliser une synthèse d’un ordre
nouveau. »
Claude Lévi-Strauss, Les
structures élémentaires de la parenté, 1949
La
synthèse, c’est celle de l’homme qui est à la fois être de culture tout en
restant un individu naturel. En somme, la culture prend appui sur la nature.
C’est ce que l’on peut noter en ce qui concerne l’agriculture ou la culture du
corps qu’est le culturisme :
- Culturisme : Pratique, à des fins esthétiques, d’exercices physiques appropriés au développement artificiel de certains muscles.
Toute
forme de sport est également la culture qui transforme la nature. Certains
théoriciens ont pensé cette culture du corps par l’entraînement sportif, à
l’instar de Georges Hébert (1875 – 1957) :
- Hébertisme : Doctrine et méthode de culture physique naturelle préconisée par Georges Hébert et fondée sur la pratique, en plein air, d’exercices fondamentaux tels que marcher, courir, porter, grimper, lancer, sauter et nager.
- La finalité de l'éducation :
- Le devoir :
La
finalité de l’éducation, c'est le devoir (moral et politique), c'est-à-dire le
fait que l’homme soit pleinement humain, répondant parfaitement à son concept,
et pleinement citoyen répondant à la constitution de sa nation :
« J’appelle éducation positive celle qui tend (…) à
donner à l’enfant la connaissance des devoirs de l’homme. »
Rousseau
Le devoir
semble ici inscrit dans la nature humaine :
« Hommes, soyez humains. Tel est votre
devoir. »
Ibid., Emile, 1762
Ce qui est
proprement humain serait donc de respecter certains devoirs. Ces devoirs sont
d’ordre moral. Cette notion de devoir moral sera reprise par Kant, grand lecteur de Rousseau. Selon Kant, le
devoir moral est inscrit dans le cœur de l’homme. Le devoir moral kantien se
formule en ces termes : l’universalité et le rapport moral à l’autre que
prône l’impératif catégorique.
- L'universalité :
« Agis de telle sorte que la maxime de ton
action puisse toujours valoir en même temps comme principe d’une législation
universelle. »
Kant,
Critique
de la raison pratique,
1788, Traduction Picavet, 1960, Page 30
« l’individu ne peut regarder une action comme
moralement bonne que si elle procède exclusivement d’une règle universalisable,
si la maxime qui l’inspire est telle qu’elle ne produise ni contradiction, ni
absurdité si elle est transformée en règle à suivre par tous les hommes dans
toutes les circonstances sous lesquelles la même action peut être
envisagée. »
Eric Weil (1904 – 1977), Philosophie
politique, Introduction, 7, Paris, Vrin, 1996, Page 19
« la morale, action
raisonnable et universelle de l’individu, considéré comme représentant de tous
les individus »
Ibid., Introduction,
3, Page 12
« La volonté morale, […] volonté universelle de
l’universel »
Ibid., I, 8, Page 27
L’individu
moral agit comme devrait agir l’ensemble des individus : là se trouve son
universalité.
- Le rapport morale à l'autre : le contenu de la morale.
« Agis de telle sorte que tu traites
l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre
toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un
moyen. »
Kant, Fondements de
la métaphysique des mœurs
« Les êtres raisonnables sont appelés des
personnes, parce que leur nature les désigne déjà comme des fins en soi. »
Ibid.
« L’homme, et en général tout être
raisonnable, existe comme fin en soi, et non pas simplement comme moyen dont
telle ou telle volonté puisse user à son gré. »
Ibid.
L’autre ne
peut être considéré uniquement comme un moyen. Kant dresse ici la morale contre
l’utilitarisme, contre la réification des personnes, contre la marchandisation
du corps par exemple.
Cette
morale est indépendante des conditions d’existence de chacun. Le pauvre comme
le riche peuvent être moraux :
« On attache aussi bien toute la […] morale à
une vie populaire et privée qu’à une vie de plus riche étoffe »
Montaigne, Essais, III, II, Poche, Page 25
En cela,
la morale est universelle : elle concerne tout le monde. La morale est définie a priori, c’est-à-dire indépendamment de toute
condition d’existence :
« la moralité est l’unique légalité des actes qui puisse
être dérivée tout à fait a priori de
principes. Aussi la métaphysique des mœurs est-elle proprement la morale pure,
où l’on ne prend pour fondement aucune anthropologie (aucune condition
empirique) »
Kant, Critique de la raison pure, 1781,
« Théorie transcendantale de la méthode », Chapitre III :
« Architectonique de la raison pure », Folio essais, Page 697
Ainsi, la
morale kantienne ne doit pas son contenu à quelques racines historiques et/ou
religieuses.
Sur un
plan plus général, l’individu moral est celui qui veut le Bien :
« La disposition-d’esprit à vouloir ce qui est bon en soi et pour soi. »
Hegel, Principes de la philosophie du droit, 1821, II
/ « La moralité », III : « Le bien et la conscience
morale », Paragraphe 137, PUF, Page 232
La liberté
est la condition de la morale. Seul l’homme libre, autonome, peut être un
individu moral.
« elle présuppose la liberté »
Hegel, L’Esprit du christianisme et son destin, 1797
L’individu
libre s’est libéré de ses déterminations.
De plus,
celui qui est moral sans le vouloir ne peut être dit pleinement moral. La
morale se situe dans l’intention de l'individu.
« Quand il s’agit de valeur morale,
l’essentiel n’est point dans les actions, que l’on voit, mais dans ces
principes intérieurs des actions, que l’on ne voit pas. »
Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs
En effet,
celui qui est inculpé d’homicide involontaire ne peut être jugé comme immoral.
Kant met l’intention en lumière par l’exemple du commerçant et de l’enfant : un
enfant vient acheter un produit au commerçant. L’enfant donne trop d’argent par
rapport au prix du produit. Le commerçant a alors trois solutions :
- Garder la monnaie excédentaire et escroquer l’enfant, ce qui est immoral car l’enfant n’est alors perçu que comme une source de profit immédiat et non comme une personne.
- Rendre l’argent, mais dans le but de s’assurer une réputation de commerçant honnête dans le quartier, ce qui est intéressé avant d’être moral.
Nous
pouvons ajouter ici le fait de rendre l'argent pour s'assurer une bonne
conscience, ce qui est agir d'abord en fonction de son intérêt particulier
avant que d'agir moralement.
- Rendre l’argent de manière désintéressée, ce qui est pleinement moral.
Le
commerçant qui rend l’argent pour la réputation réalise un acte moral sans pour
autant être moral dans son cœur, dans son intention. Il agit par respect envers
le devoir tout en ayant une arrière-pensée intéressée. Le commerçant pleinement
moral, lui, agit au nom du devoir et de manière pleinement désintéressée.
Ainsi, la morale dépend de la liberté-autonomie et du désintéressement.
Une
troisième condition de la morale (après la liberté et le désintéressement) est
l’action. En effet, à quoi servirait-il d’avoir établi le contenu de la morale
si c’est pour ne pas l’appliquer sur le plan concret ?
« si les valeurs de vérité ou de beauté peuvent être
découvertes et contemplées, la valeur morale est à faire. »
Ferdinand Alquié, Le Désir d’éternité, I, III, PUF, Page 36
Nous
pourrions questionner cette déclaration d’Alquié en nous demandant si la vérité
et la beauté ne sont pas, elles aussi, des valeurs à faire. Seulement, la
valeur morale ne peut attendre. La morale nous engage à défendre la dignité
humaine. La morale ne peut être que principes : elle doit être actions :
« La justice […], c’est le respect,
spontanément éprouvé et réciproquement garanti, de la dignité humaine, en
quelque personne et dans quelque circonstance qu’elle se trouve compromise, et
à quelque risque que nous expose sa défense. »
Proudhon (1809 -
1865), De la Justice
La morale
qui établit de beaux discours mais ne prend aucun risque pour défendre les
principes moraux sur le plan concret n'est pas véritablement la vraie morale.
La dignité
humaine, c’est, par exemple, la liberté de la personne. Ainsi, défendre la
liberté de tous est moral :
« Toute action est juste qui peut faire
coexister le libre-arbitre de chacun avec la liberté de tout autre selon une
loi universelle. »
Kant, Doctrine du droit
« Dans la mesure où chacun est reconnu comme
une essence libre, il est une personne. C’est pourquoi le principe du droit
peut s’énoncer aussi de cette manière : chacun doit être traité par autrui
comme une personne. »
Hegel, Propédeutique philosophique, 1840 (posthume)
Défendre
la dignité humaine, c’est défendre la dignité de tous, même de ceux qui ne nous
ressemblent pas :
« elle [la charité] honore l’humanité dans le
fou, l’idiot, le criminel, le malheureux. »
Alain, Définitions, 1953 (posthumes)
Ce qui
importe sur le plan de l’action, c’est la moralité, et non la morale.
- Moralité : La moralité est, pour Hegel, le domaine de l’ « éthique », tandis que la morale désigne plutôt le domaine de l’ « intention subjective ». Antonyme d’amoralité.
Sur le
plan de l’action, il s’agit essentiellement de venir en aide à l’autre qui se
trouve dans le besoin. C’est là l’essence même du discours chrétien sur la
charité ou du discours musulman sur l’aumône aux pauvres. Proposer ses services
pour aider l’autre est donc notre devoir. Descartes
exprime cette idée sur le mode négatif :
« c’est proprement ne valoir rien que de
n’être utile à personne »
Descartes, Discours
de la méthode, VI, Classiques Larousse, Page 64
Comte (1798 - 1857), lui, l’exprime sur le mode
positif :
« Quand même la terre devrait être bientôt
bouleversée par un choc céleste, vivre pour autrui, subordonner la personnalité
à la sociabilité, ne cesseraient pas de constituer jusqu’au bout le bien et le
devoir suprêmes. »
Comte, Système de
politique positive, 1854
« Jérôme Cahuzac doit penser d’abord à son pays, aux
autres, avant lui-même. »
Dominique Lefebvre
Cette
action morale a alors pour projet de devenir politique :
« L’exigence morale dernière est celle d’une réalité
politique (formée par l’action raisonnable et universelle sur tous les hommes)
telle que la vie des individus soit morale et que la morale […] devienne une
force politique, c’est-à-dire un facteur
historique avec lequel l’homme politique ait à compter quand bien lui-même ne
se voudrait pas moral. »
Eric Weil, Philosophie
politique, Introduction, 3, Page 12
« Il est
immédiatement visible qu’à partir du principe de cette morale de l’universalité
il devient possible d’assigner un but à l’action politique : l’avènement
d’un monde où la raison inspire tous les êtres humains. »
Ibid., 7, Page 20
« La morale n’existe et ne se réalise que sur le plan
politique (primauté objective de la politique) »
Ibid., Page 22
« Ce sera donc
à partir de la morale formelle que notre réflexion devra atteindre la
politique. »
Ibid.
« La morale donne naissance à la conception d’un droit
universel »
Ibid., 11, Page 34
« l’homme moral découvre que la loi morale doit informer une loi positive : la libération de l’homme, de
tout homme, doit s’accomplir dans le monde si la vie morale et raisonnable ne
doit pas rester un rêve. »
Ibid., Page 35
« Il faut réaliser […] l’universel dans le
concret »
Ibid., II,
B, 30, b, Page 117
« L’éternel de ces principes doit faire ses preuves dans
le temps et doit informer le monde de
l’histoire. »
Ibid., III, B, 38, c, Page 177
« La morale pure […] se veut morale d’action »
Ibid., Philosophie morale, II, 13, d, Vrin, Page 77
L’éducation qui comprend discipline et formation est
ainsi la dernière et la plus haute ambition de toute grande philosophie morale
et politique, de Platon à Rousseau et de Kant à Comte.
Evidemment,
la morale sert la politique car, si nous serions tous des êtres moraux, la vie
de la Cité serait apaisée.
Les hommes deviennent ce qu’ils sont par l’éducation
active. L’homme a besoin d’une éducation et d’une culture pour combattre la
grossièreté de sa nature et atteindre sa destination entière. Il s’agit de
montrer à l’enfant qu’on veille à sa culture pour qu’il puisse un jour être
libre, c’est-à-dire qu’il n’ait plus à dépendre de la sollicitude d’autrui.
L’éducation publique a les plus grands
avantages : on y apprend à connaître la mesure de ses forces et les
limites que nous impose le droit d’autrui … Cette éducation fournit le meilleur
modèle du citoyen à venir.
Nous
rejoignons ici la conception platonicienne de l’éducation qui inspirera
Rousseau. Rousseau assume les abandons de
cinq enfants en s’inscrivant dans la tradition platonicienne en ces termes
:
« Oui, Madame, j’ai mis mes enfants aux
Enfants-Trouvés ; j’ai chargé de leur entretien l’établissement fait pour
cela … Ainsi voulait Platon que tous les enfants fussent élevés dans sa
République ; que chacun restât inconnu à son père, et que tous fussent les
enfants de l’Etat. »
Rousseau, 1751
Cette idée
selon laquelle l’Etat doit s’occuper de l’éducation des enfants est
actuellement présente, notamment en France et en Israël :
- En France, cela a pris la forme du changement du nom de notre ministère qui passa du ministère de l’instruction publique, qui n’était chargé que de faire acquérir une culture de base et des connaissances pratiques, au ministère de l’éducation nationale qui ajouta une dimension supplémentaire à la fonction de l’enseignant qui, parfois, doit épauler la famille dans la tâche éducative.
- En Israël, l’éducation publique prend une forme plus radicale : celle des kibboutz, ces fermes d’inspiration communiste dans lesquelles les enfants sont élevés par la communauté, et non plus par leur famille d'origine.
B / Les difficultés de l'éducation :
- pour l’éducateur :
Cependant,
l’éducation est une tâche difficile pour l'éducateur :
« Tout ainsi qu’en l’agriculture les façons qui vont
avant le planter sont certaines et aisées, et le planter même. Mais depuis que
ce qui est planté vient à prendre vie : [à] l’élever il y a une grande
variété de façons et difficulté. Pareillement aux hommes [il] y a peu
d’industrie à les planter mais depuis qu’ils sont nés on se charge d’un soin
divers, plein d’embesognement et de crainte, à les dresser et nourrir. »
Montaigne, Essais, I, Chapitre XXVI : « De
l’institution des enfants. », Folio classique, Page 317
Faire des enfants et les abandonner à leur sort ou
les maintenir en enfance n’offre guère de difficulté. Faire des hommes dignes
de ce nom, c’est-à-dire des êtres humains raisonnables, libres et responsables,
c’est le plus difficile des problèmes pratiques que l’Humanité ait encore à
résoudre.
- pour les éduqués :
L’éducation
est aussi difficile pour les éduqués :
« L’éducation est pénible, cruelle. (…) La culture est
exigeante. »
George Steiner, La barbarie
de l’ignorance
- La nécessité de cette difficulté :
Cependant,
cette difficulté fait partie intégrante de l’essence même du processus
éducatif.
C / L'état de l'être cultivé :
Le terme
de culture n’est pas seulement employé pour désigner le processus de sortie de
l’état de nature : il est également employé pour désigner l’état de
l’homme cultivé. L’homme a été cultivé et dispose dorénavant de la culture.
Etant donné qu’il ait été cultivé, il est, maintenant, cultivé.
La culture est ce qui distingue un être cultivé d’un
être abandonné à sa condition naturelle de sauvage :
« Les sauvages
sont moins avancés en civilisation et plus voisins de l’état de nature que les
barbares. »
Lafayette
Ainsi,
nous pouvons établir une distinction entre le cultivé, c’est-à-dire le civilisé
; le barbare ; et le sauvage. Entre ces trois états, il est question de degré
de culture.
- La barbarie :
En Grèce
antique, tout ce qui n’était pas grec était considéré comme barbare. Est
barbare « tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis
gréco-romaine) ; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de
sauvage dans le même sens » (Claude Lévi-Strauss). Le barbare, c’est
l’autre, l’étranger, l’inconnu. Le barbare, c’est celui que l’on ne comprend
pas et que l'on associe alors à l'animal. Le terme même de barbare vient de bar-bar-bar, le chant inarticulé de certains
oiseaux. Le barbare reste alors l'éternel incompris :
« Barbaras hic ego sum
quia non intelligor illis (Ici c’est moi qui suis le barbare, parce que
je ne suis pas compris par ceux-là.) »
Ovide
(-43 ; 18), Tristes, 8, I, X, 37
« Le
poète finement lettré prononce cette phrase alors qu’il endure un exil
solitaire, chez des Scythes et des Sarmates sans latinité, près de la mer
Noire. »
Jacques
Berchtold
On
considère toujours celui que l’on désigne comme barbare comme un inculte, et,
pire, comme un être sans culture, un sauvage qui vit comme les animaux, et non
comme les hommes :
« Sauvage, qui veut dire de
la forêt, évoque […] un genre de vie animale, par opposition à la
culture humaine. »
Claude Lévi-Strauss, Race et
Histoire, 1952
C’est de
cette manière que les occidentaux regardaient les indiens d’Amérique lors de la
« découverte » du « Nouveau » Monde, ou les noirs d’Afrique au cours
des siècles d’esclavagisme qui se sont poursuivis jusqu’à l’époque coloniale.
On retrouve cette volonté d’animaliser l’autre en vue de se sentir supérieur à
lui dans les thèses racistes d’Hitler (1889 – 1945) par exemple.
- Le contenu de la culture :
La culture d’un homme cultivé désigne en général
« un idéal assez académique de raffinement individuel, élaboré à partir
d’un petit nombre de connaissances et d’expériences assimilées, mais fait
surtout d’un ensemble de réactions particulières sanctionnées par une classe
sociale et une longue tradition. » (Sapir (1884 – 1939)).
Ce
« petit nombre de connaissances et d’expériences » qui fait la
culture de l’homme éduqué, qui n’est donc plus sauvage, concerne certains
domaines spécifiques (cinéma, théâtre, spectacles, musique, littérature … etc.) qui diffèrent selon les traditions.
Cette « culture » défendue par le ministère éponyme désigne
l’ensemble des connaissances qui permettent de distinguer un homme cultivé d’un
inculte. La culture pris en ce sens fonctionne alors comme un marqueur
d’appartenance social. C’est ce que Bourdieu (1930 – 2002) met en lumière par
son concept de capital culturel.
Chez
Bourdieu, chaque individu inscrit dans une société, dans un groupe social,
dispose de trois types de capital :
- Le capital économique, c’est-à-dire la richesse du noyau familial qui servira pour financer les études des enfants par exemple.
- Le capital social, c’est-à-dire l’ensemble des relations du noyau familial qui permettront à l’enfant d’éventuellement travailler dans certains domaines inaccessibles à d’autres familles moins bien classées socialement parlant.
- Le capital culturel, c’est-à-dire l’ensemble des connaissances présentes dans la famille qui participeront à la formation et à l’éducation de l’enfant. Le capital culturel comporte également les habitudes du noyau familial (fréquentation des musées, du théâtre, des expositions …etc.).
Par le
biais de cette analyse des trois types de capital, Bourdieu, ce sociologue
d’extrême-gauche, tente de mettre en lumière une certaine reproduction sociale,
une endogamie dans la classe sociale bourgeoise, et, de fait, dans la classe
prolétarienne, ce qui installe de manière durable la domination économique,
sociale et culturelle d’une classe sur une autre de génération en génération.
Pour
endiguer ce phénomène de reproduction des élites, une solution consiste à
rendre accessible la culture à tous par différents moyens (spectacles de rue
gratuits de type Turbulentes à Vieux-Condé, initiations au théâtre,
représentations théâtrales télévisées sur France 2, rencontres avec les
artistes …etc.). Rendre la culture
accessible à tous est l’objectif du ministère qui en a la charge et c’est
également celui de l’Ecole de la République. En effet, l’Ecole n’est pas
uniquement un lieu de formation en vue d’un diplôme professionnalisant :
elle est également là pour éduquer, c’est-à-dire ouvrir à la culture afin de
faire non seulement des citoyens et des agents économiques efficaces, mais
aussi des hommes libres. La culture rend en effet libre car elle nous éloigne
de nos impulsions naturelles, bestiales, ce qui nous permet de vivre
sereinement en société et en bonne intelligence. La culture rend également
libre en cela qu’elle permet d’accéder à des champs de réflexion nouveaux,
voire insoupçonnés, afin qu’on y développe, à notre tour, une réflexion
personnelle et pertinente en ayant à l’esprit ce que les Anciens nous ont
laissé. C’est en vue de nous rendre libres en ces sens (contre la nature
et pour la libre réflexion) que l’on entend, à l’échelle internationale, des
appels à la diffusion de la culture. Ainsi, Jean-Paul II, face aux autorités de
l’URSS qui était un Etat fermé, isolé, et donc réticent à partager sa culture
avec le reste du monde et à apprendre des autres peuples, a déclaré :
« N’ayez pas peur ! Ouvrez les frontières de vos
Etats, les vastes champs de la culture … »
Jean-Paul II
La culture
est donc un liant entre les hommes (rassemblements culturels) et aussi entre
les peuples qui apprennent de leur culture respective : la culture comme
élément de communication et donc de rapprochement avec l’autre (homme et
peuple). La culture ainsi échangée au niveau international est un élément de
maintien de la paix entre les peuples. Plus l’on se connaît, moins l’on
s’affronte. L’échange culturel peut par exemple prendre la forme d’un échange
linguistique avec un correspondant ou d’un séjour d’études à l’étranger avec
Erasmus.
D / L’inutilité de la culture :
- face à la violence :
Pourtant,
la culture prise en ce sens d’ensemble de connaissances (notamment littéraires,
artistiques) ne permet pas d’instaurer définitivement la paix. De même, être
cultivé ne sauve pas non plus de la méchanceté :
« On peut aimer Shakespeare et Mozart et torturer en
même temps. »
George
Steiner, Entretiens,
« La crise de l’éducation »
Parmi les
nazis se trouvaient des hommes de lettres, des hommes cultivés, éclairés, mais
qui ont quand même sombré dans l’obscurité de la violence. Face à Hitler, la
culture du brillant peuple allemand, le peuple des juristes et des
philosophes, n’a été d’aucune utilité. Contre la violence, notamment celle
de la guerre, la culture ne peut rien. Contre une foule de rhinocéros, toute
parole est vaine. C’est ce que montre Ionesco (1909 – 1994) dans Rhinocéros (1959).
En Allemagne nazie, on brûlait les livres avant de
brûler les gens.
Une
bibliothèque qui ne peut empêcher l’explosion d’une bombe peut être jugée
inutile :
« si le contenu des milliers de bouquins de cette
irremplaçable bibliothèque avait été précisément impuissant à empêcher que se
produisent des choses comme le bombardement qui l’a détruite, je ne voyais pas
très bien quelle perte représentait pour l’humanité la disparition sous les
bombes au phosphore de ces milliers de bouquins et de papelards manifestement
dépourvus de la moindre utilité. Suivant la liste détaillée des valeurs sûres,
des objets de première nécessité dont nous avons beaucoup plus besoin ici que
de tout le contenu de la célèbre bibliothèque de Leipzig, à savoir :
chaussettes, caleçons, lainages, savon, cigarettes, saucisson, chocolat, sucre,
conserves … » »
Claude Simon (1913 - 2005), La
Route des Flandres, 1960, II, Les Editions de Minuit, Page 252
Cette
inutilité de la culture se retrouve en d’autres moments de l’Histoire :
« s’il n’y a point de vice qui ne les domine, point de
crime qui ne leur soit familier ; si les lumières des ministères, ni la
prétendue sagesse des lois, ni la multitude des habitants de ce vaste empire
n’ont pu le garantir du joug du Tartare ignorant et grossier, de quoi lui ont
servi tous ses savants ? »
Rousseau, Discours sur les sciences et les arts, 1750,
I, Poche, Page 36
« La monarchie
de Cyrus a été conquise avec trente mille hommes par un prince plus pauvre que
le moindre des satrapes de Perse ; et les Scythes, le plus misérable de
tous les peuples, a résisté aux plus puissantes monarques de l’univers. Deux
fameuses républiques se disputèrent l’empire du monde ; l’une était très
riche, l’autre n’avait rien, et de fut celle-ci qui détruisit l’autre. L’Empire
romain à son tour, après avoir englouti toutes les richesses de l’univers, fut
la proie de gens qui ne savaient même ce que c’était que richesse. Les Francs
conquirent les Gaules, les Saxons l’Angleterre sans autres trésors que leur
bravoure et leur pauvreté. Une troupe de pauvres montagnards dont toute l’avidité
se bornait à quelques peaux de moutons, après avoir dompté la fierté
autrichienne, écrasa cette opulente et redoutable Maison de Bourgogne qui
faisait trembler les potentats de l’Europe. Enfin toute la puissance et toute
la sagesse de l’héritier de Charles Quint, soutenues de tous les trésors des
Indes, vinrent se briser contre une poignée de pêcheurs de hareng. »
Ibid., II, Pages 58 –
59
- face à la méchanceté :
Pour ce
qui est des incultes qui ne disposent pas de l’ensemble de connaissances
requises pour être dit « homme cultivé », il y a, de la part de
certains cultivés, un certain mépris pour les couches populaires de la société
qui ne connaissent rien à l’art contemporain par exemple. Ainsi, la culture ne
sauve pas de la méchanceté mais est ségrégative.
Toute culture, individuelle ou collective, est
d’abord un facteur de distinction et d’exclusion.
- Le risque du pédantisme :
- Pédantisme : Manière d’agir qui fait étalage d’une érudition affectée et purement livresque.
De plus,
trop de culture tue la culture. En effet, la culture ne doit pas sombrer dans
le pédantisme. Le pédantisme des savants érudits de son époque, c’est ce que
dénonce Montaigne dans ses Essais. Selon lui, nombreux sont ceux qui
n'ont que l'apparence du savoir, eux qui n'ont pas fait leur ce qu'ils ont lu :
« nos pédantes vont pillotant la science dans les
livres, et ne la logent qu’au bout de leurs lèvres, pour la dégorger seulement,
et mettre au vent. »
Montaigne, Essais, I, XXV : « Du pédantisme »,
Folio classique, Pages 299 – 300
« je puise comme les Danaïdes, remplissant et versant
sans cesse. »
Ibid., Chapitre
XXVI : « De l’institution des enfants », Page 313
« Les écrivains indiscrets de notre siècle, qui parmi
leurs ouvrages de néant, vont semant des lieux entiers des anciens auteurs,
pour se faire honneur, font le contraire. »
Ibid., Page 314
« Le philosophe Chrysippus, mêlait à ses livres, non les
passages seulement mais des ouvrages entiers d’autres auteurs, et en un, la Médée d’Euripides. »
Ibid.
« plutôt la tête bien faite, que bien pleine »
Ibid., Page 319
« des ânes chargés de livres : On leur donne à
coups de fouet en garde leur pochette pleine de science : laquelle pour
bien faire, il ne faut pas seulement loger chez soi, il la faut épouser. »
Ibid., Page 358
Bouvard et Pécuchet
(1881 (posthume)) de Flaubert est une charge
dirigée contre la vanité intellectuelle et le pédantisme. Flaubert a
caricaturé, sous les noms de Bouvard et Pécuchet, une accumulation de
connaissances disparates qui est en quelque sorte le négatif de la culture.
E / Les dangers de la culture : Les risques de la
culture moderne.
La culture
peut encore être critiquée dans ce qu’elle engendre.
L’ouvrage de Georges Duhamel [1884 – 1966], qui obtint le prix Goncourt en 1918, n’est intitulé
Civilisation que par antiphrase : il s’agit en réalité d’un
réquisitoire contre la « civilisation » moderne, contre son culte du
machinisme, de la richesse, de la science aveugle et de la puissance
destructrice qui ont engendré l’horreur de la Première Guerre mondiale. De son
côté, Charles Fourier (1772 – 1837) avait déjà donné un sens nettement
péjoratif au mot « civilisation » en général. La
« civilisation » est cet état de « fausse industrie » et de
« commerce mensonger » qui affiche de beaux principes, mais ne
contient en réalité qu’ « indigence, fourberie, oppression,
carnage ».
A propos
du danger de la bombe atomique, Paul Valéry (1871 – 1945) note :
« Nous autres civilisations, nous savons
maintenant que nous sommes mortelles. »
Paul Valéry
En effet,
la culture peut être dangereuse dans ses dérives. La culture et ses
conséquences sont comme le feu apporté par Prométhée à l'homme : il peut être
employé à mauvais escient. C'est cette mise en garde que nous rappelle Rousseau dans le frontispice de son Discours sur les science et les arts :
« Prométhée apportant le feu à l’homme met celui-ci en
garde devant les risques de mauvais usages, qu’encourage le satyre
irresponsable. »
Jacques Berchtold
Le feu
peut désigner aujourd'hui, métaphoriquement, l'énergie atomique.
II / Le plan collectif :
A / Les cultures :
En
ethnologie ou en sociologie, on ne parle pas d'abord de la culture ni au sens
de processus éducatif ni au sens de résultat de ce processus, mais on parle des
cultures différentes les unes des autres, des civilisations. Couramment, on
parle d'ailleurs de dialogue inter-culturel : les peuples apprennent les uns
des autres.
B / Le rejet de la culture collective :
Pourtant,
la civilisation ne fait pas unanimité. Certains la rejettent car ils estiment
qu'il s'agit là d'une dénaturation de l'homme (ce qui est le cas) et que cela
est dommageable à l'humanité en général et, par conséquent, à l'individu en
particulier. En effet, en s'éloignant de la nature, l'homme oublierait les
valeurs simples, noyé qu'il serait dans le luxe, dans l'excès de la culture.
De manière
radicale, les cyniques rejettent alors le mode de vie en Cité : ils
rejettent l’état civil au profit de l’état de nature. Diogène, le chef de file
de l’école cynique, représenté nonchalemment allongé alors que tous les autres
penseurs sont debout par Raphaël (1483 – 1520) dans L’Ecole d’Athènes (1510 – 1511), était réputé pour vivre dans
une amphore brisée en mangeant des racines et des oignons :
Le fait
qu'il soit allongé montre qu'il a pour principe de rejeter les codes sociaux
qu'il juge dénaturant et donc dommageables pour l'homme. Il est même dit qu’il
se promenait nu avec un hareng pourri en signe de contestation de l’ordre
social établi, comme une provocation. Son rejet de la culture le fait alors
vivre comme un animal : un jour, il vît des chiens laper l’eau d’une flaque.
Dès ce jour, il n’utilisa plus de récipient pour boire. Il vivait comme un
chien (d’où le terme « cynique » qui a donné « canidé »). Ce que l’on
entend aujourd’hui par « cynisme » perpétue encore, d’une certaine
manière, la tradition de Diogène. En effet, quelqu’un de cynique est quelqu’un
qui dénonce la bien-pensance ambiante. Le cynisme consiste aujourd’hui à
défendre officiellement une idée pour, officieusement, faire l’inverse de ce
que l’on défend sous prétexte que le monde est par nature corrompu et que l’on
ne peut rien y changer. Quoi qu’il en soit, le cynisme est toujours une forme
de rejet de quelque chose. Diogène vivant comme un chien est l’essence même de
ce rejet de la culture humaine au profit d’une vie animale :
« [Diogène] affirmait opposer […] à la loi sa
nature »
Diogène Laërce
La loi
représente ici ce qui est création humaine, ce qui nous sort de notre chère
nature. Pour Diogène, rien n'est à respecter dans le monde proprement humain :
seule la nature prime. Ici, la nature, c'est la corruption dont il s'agit de se
prémunir :
« la culture est
considérée là comme quelque chose de seulement extérieur, relevant de la
corruption »
Hegel, Principes de la philosophie du droit, III, II,
Paragraphe 187, Remarque, PUF, Page 283
Rousseau, notamment dans son Discours sur les sciences et les arts,
poursuit, avec une certaine variation, la doctrine cynique. A la question posée par l’académie de Dijon en 1750 :
« si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les
mœurs », Rousseau répond, dans son Discours
qui obtint le prix du concours s’élevant à une
médaille d’or de la valeur de trente pistoles, au grand scandale des salons littéraires du temps, un
« non » catégorique. En effet, selon Rousseau, la culture ôte les
atouts de la nature, de la vie simple, à la campagne, et non dans les salons
des intellectuels, notamment français jugés alors décadents. Rousseau prône un
retour aux valeurs naturelles contre l'excès de culture. L'une des première
critique qu'il se permet d'adresser à la culture en général est qu'elle nous
fait perdre la vigueur du corps :
« La civilisation conduit toujours à un
affaiblissement du corps. »
Rousseau
Le corps
n’est plus vigoureux s’il n’est plus en contact avec la terre naturelle mais
uniquement en rapport avec une table de lecture. Encore aujourd'hui, on
reproche aux khâgneux (les élèves de deuxième année de classe préparatoire
littéraire) leurs genoux presque atrophiés à force d'être assis à une table de
lecture et aux taupes (les élèves de deuxième année des classes préparatoires
scientifiques) leur myopie à force d'user leurs yeux sur des calculatrices. Le
terme « khâgneux » vient de Napoléon (1769 - 1821) qui, lors d'un défilé du 14
juillet, a vu passer une classe préparatoire littéraire et s'est étonné de
leurs genoux. On peut encore constater cette perte de la vigueur du corps lors
de certains progrès techniques. Le travail de l'agriculteur par exemple, bien
qu'il reste difficile, est beaucoup moins pénible qu'il y a quelques siècles
grâce aux machines. Cependant, cette diminution de la pénibilité du travail a
pour conséquence une certaine perte de la force et de l'endurance physique de
ceux qui exploitent la terre comparés à ceux qui l'exploitaient à la sueur de
leur front, sans machine ultra-perfectionné. Selon Rousseau, le progrès n'est
pas nécessairement une bonne chose : il faut considérer ce que l'on perd dans
le progrès technique (ici, la vigueur du corps). Ce propos de Rousseau peut
s’appliquer à son ouvrage l’Emile qui
décrit l’éducation fictive d’un enfant par son précepteur. Emile ne sera donc
pas (uniquement) un être de culture pour qu’il ait un corps vigoureux. Cette
perte de vigueur du corps par la faute de la culture est un fait constaté. En
effet, aux commencements de l’agriculture, les hommes sont passés d’une vie de
chasse et de cueillette, d’une vie de nomades, à une vie de sédentaires
cultivant la terre. La culture de la terre nécessitant de se courber, la taille
moyenne des hommes a diminué de quelques centimètres. La culture a donc un
effet, que certains jugeront néfaste, sur le corps.
Pourtant,
cette transformation corporelle n’est peut-être qu’une évolution, et non une
décrépitude.
Cependant,
Rousseau idéalise l’état de nature qu'il regrette :
« L’état de nature étant celui où le soin de
notre conservation est le moins préjudiciable à celle d’autrui, cet état était
par conséquent le plus propre à la paix, et le plus convenable au genre
humain. »
Rousseau, Discours
sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755
L'état de
nature est ici absolument différent de celui de Hobbes dans lequel il y avait
la « guerre de chacun contre chacun ». L'état de nature rousseauiste est un
état de paix, de bonne camaraderie, dans lequel les hommes disposent d'un corps
non encore corrompu par l'excès de culture. Locke
(1632 – 1704) semble partager avec Rousseau l’idéalisation de l’état de
nature :
« L’état naturel est un état de paix, de bonne
volonté, d’assistance mutuelle et de conversation de soi et des autres. »
Locke
Selon la
doctrine rousseauiste, il s’agit alors de revenir à un mode de vie simple,
naturel, contre la corruption de la culture. Cette idéalisation de la vie
proche de la nature est due à son enfance :
« A la faveur
d’un séjour d’enfance heureux à Bossey près de Genève et d’années de jeunesse
épanouies aux Charmettes près de Chambéry, le jeune Rousseau avait été éveillé
très tôt à l’amour d’une vie simple, proche de la nature. »
Jacques Berchtold, Introduction au Discours sur les sciences et les arts de Rousseau, Poche, Page 5
« il propose déjà d’observer directement la nature, de
faire des promenades »
Ibid.
Il y a
chez Rousseau une nostalgie de l’état primitif de l’homme :
« La réhabilitation visionnaire et nostalgique de l’
« état de nature » et de l’ « homme primitif », encore
confuse et embryonnaire dans le Discours »
Jacques Berchtold, Introduction au Discours sur les sciences et les arts de Rousseau, Poche, Page
11
« l’appel à ressusciter l’image d’un homme
« primitif » »
Ibid., Page 12
« il identifie le type du Vieux Romain au sage vertueux
et frugal des temps primordiaux. »
Jacques Berchtold
(Ainsi,
l'homme des premiers temps n'est pas seulement vigoureux, il est aussi vertueux
: sain de corps et d'esprit.)
« C’est un beau rivage, paré des seules mains de la
nature, vers lequel on tourne incessamment les yeux, et dont on se sent
éloigner à regret. Quand les hommes innocents et vertueux aimaient à avoir les
dieux pour témoins de leurs actions, ils habitaient ensemble sous les mêmes
cabanes ; mais bientôt devenus méchants, ils se lassèrent de ces
incommodes spectateurs et les reléguèrent dans des temples magnifiques. Ils les
en chassèrent enfin pour s’y établir eux-mêmes, ou du moins les temples des
dieux ne se distinguèrent plus des maisons des citoyens. Ce fut alors le comble
de la dépravation ; et les vices ne furent jamais poussés plus loin que
quand on les vit, pour ainsi dire, soutenus à l’entrée des palais des Grands
sur des colonnes de marbre, et gravés sur des chapiteaux corinthiens. »
Rousseau, Discours sur les sciences et les arts, II,
Poche, Page 63
« Première stylisation de l’ « état de
nature », soudain proche du « bon sauvage ». Le poète Jean-Baptiste Rousseau [1670,
1671 ; 1741] avait célébré, dans son Ode (II, IX), l’heureuse ignorance dans les
« huttes » et la simple piété des temps primitifs, condamnant les
sciences illusoires, les sophismes et les arts. »
Jacques Berchtold
« la vaillance des Scythes ignorants »
Ibid.
« Cette ignorance désirable n’est plus celle, complexe,
de Socrate, mais celle, simple, des temps primitifs et de la pastorale. »
Ibid.
En effet,
il ne s'agit pas, comme Socrate, de savoir que nous ne savons rien, mais d'être
dans l'état d'ignorance pour ne pas sombrer dans la dépravation culturaliste.
Il s'agit ici du mythe du « bon sauvage » qui se trouve chez Diderot, et non à proprement parler chez
Rousseau en ce qui concerne le terme.
La
nostalgie de Rousseau lui vient de son
père :
« Alors que la raison « égare », Jean-Baptiste
Rousseau célébrait déjà l’heureuse « ignorance » des hommes primitifs
(le Huron américain habitant de simples « huttes »). L’
« instinct » naturel conduit à se montrer reconnaissant face à la
bonté céleste, à dédaigner la science arrogante des « philosophes
pointilleux » parce qu’elle n’est en réalité que « clarté
ténébreuse », « piège » et « poison », et à se
contenter des connaissances placées à notre portée par la Providence. »
Jacques Berchtold, Introduction au Discours sur les sciences et les arts de Rousseau, Poche, Pages
17 – 18
Il y a
donc un certain rejet de l'excès de la culture qui nous a fait passer de l'état
de nature à l'état culturel dépravé :
« C’est sous l’habit rustique d’un laboureur,
et non sous la dorure d’un courtisan, qu’on trouvera la force et la vigueur du
corps. »
Rousseau, Discours sur les sciences et les arts, I, Page
30
Cet excès
de la culture se trouve alors dans le luxe, dans le faste de l'habillement par
exemple.
Pourtant,
il est à relever que le laboureur vêtu est, par deux fois (le fait de cultiver
la terre et le fait d'être vêtu), déjà entré dans le monde de la culture.
Rousseau
promeut alors la nudité :
« L’homme de bien est un athlète qui se plaît
à combattre nu : il méprise tous ces vils ornements qui gêneraient l’usage
de ses forces, et dont la plupart n’ont été inventés que pour cacher quelque
difformité. »
Ibid., I,
Page 30
Rousseau
fait ici référence aux lutteurs grecs et romains qui combattaient nus, et non
en armure, l'armure entravant la vigueur du corps.
Rousseau
oppose la rusticité, c'est-à-dire le mode de vie campagnard, proche des valeurs
naturelles, à l'excès de culture décadent :
«
Avant que l’art eût façonné nos manières et appris à nos passions à
parler un langage apprêté, nos mœurs étaient rustiques, mais naturelles. »
Ibid.
(L'apprêtement,
c'est-à-dire le fait d'être bien mis aux yeux de la société, le fait de
correspondre aux codes sociaux, est rejeté par Rousseau au profit de la
rusticité. On retrouve ici un reste de pensée cynique.)
« La réhabilitation de la « rusticité » (face
à la politesse) sera récurrente. »
Jacques Berchtold
« Telle enfin s’est montrée jusqu’à nos jours cette
nation rustique si vantée pour son courage que l’adversité n’a pu abattre, et
pour sa fidélité que l’exemple n’a pu corrompre.
Ce n’est point par stupidité que ceux-ci ont préféré d’autres
exercices à ceux de l’esprit. »
Rousseau, Discours sur les sciences et les arts, I,
Pages 37 – 38
« La valeur positive de la campagne (rus) est redevable à Virgile [-70 ; -19]
et Horace [-65 ; -8]. La périphrase énigmatique désigne la Suisse. Les
derniers éléments pourraient s’appliquer aussi au sort admiré de Genève
(maintien endurant de l’austérité en dépit du voisinage français
« corrupteur ». »
Jacques Berchtold
L'opposition
entre la rusticité et la décadence culturaliste prend alors une tournure
politique : Rousseau oppose la Suisse, et
Genève particulièrement, à la France, comme il oppose Sparte à Athènes, les
guerriers contre les penseurs. La glorification de Sparte est explicite dans le
Discours :
«
Oublierais-je que ce fut dans le sein même de la Grèce qu’on vit
s’élever cette cité aussi célèbre par son heureuse ignorance que par la sagesse
de ses lois, cette République de demi-dieux plutôt que d’hommes ? tant
leurs vertus semblaient supérieures à l’humanité. Ô Sparte ! »
Rousseau, Discours sur les
sciences et les arts, I, Page 39
La
glorification de Sparte se retrouve chez Montaigne
:
« la révérence de cette divine police lacédémonienne si
grande, si florissante […], sans aucun [enseignement] ni exercice de
lettres »
Montaigne,
Essais, II, 12
Rousseau attaque massivement contre les sciences et
les arts, taxés d’agents corrupteurs et non civilisateurs. L'excès de
culture est alors vigoureusement dénoncé en cela qu'il nous éloigne de la
nature, du mode de vie simple des suisses, des genevois, des spartiates :
« Hanc
amplissimam omnium artium bene vivendi disciplinam vitam agis quam literis
persequuti sunt. (Cet art de bien vivre, le plus important de tous, ils
l’ont acquis par leur vie plus que par les livres.) »
Cicéron
(-106 ; -43), Tusculanes, IV, III, 5, cité par Montaigne, Essais,
I, Chapitre XXVI : « De l’institution des enfants », Folio
classique, Page 344
« Je dirais volontiers, que comme les plantes
s’étouffent de trop d’humeur et les lampes de trop d’huile, aussi l’action de
l’esprit par trop d’étude et de matière. Lequel saisi et embarrassé d’une
grande diversité de choses, perde le moyen de se démêler. Et que cette charge
le tienne courbe et croupi. »
Montaigne, Essais, I, Chapitre XXV : « Du
pédantisme », Page 296
« Nous savons dire, Cicero dit ainsi, voilà
les mœurs de Platon, ce sont les mots mêmes d’Aristote : mais nous que
disons-nous nous-mêmes ? que jugeons-nous, que faisons-nous ? Autant
en dirait bien un perroquet. »
Ibid., Pages
300 – 301
« Nous semblons proprement celui, qui ayant besoin de
feu, en irait querir chez son voisin, et y en ayant trouvé un beau et grand,
s’arrêterait là à se chauffer, sans plus se souvenir d’en rapporter chez soi.
Que nous sert-il d’avoir la panse pleine de viande, si elle ne se digère, si
elle ne se transforme en nous ? si elle ne nous augmente et
fortifie ? »
Ibid., Page 301
« Mon vulgaire Péridourdin appelle fort
plaisamment Lettreférits ces savanteaux,
comme si vous disiez lettre-férus, auxquels les lettres ont donné un coup de
marteau, comme on dit. »
Ibid., Page
303
« Sans cesse on suit des usages, jamais son
propre génie. On n’ose plus paraître ce qu’on est. »
Rousseau, Discours sur les sciences et les arts, I, Page
31
« On ne saura donc jamais bien à qui l’on a
affaire : il faudra donc, pour connaître son ami, attendre les grandes
occasions, c’est-à-dire attendre qu’il n’en soit plus temps, puisque c’est pour
ces occasions mêmes qu’il eût été essentiel de le connaître.
Quel cortège de vices n’accompagnera point cette
incertitude ? Plus d’amitiés sincères ; plus d’estime réelle ;
plus de confiance fondée. Les soupçons, les ombrages, les craintes, la
froideur, la réserve, la haine, la trahison se cacheront sans cesse sous ce
voile uniforme et perfide de politesse, sous cette urbanité si vantée que nous
devons aux lumières de notre siècle. »
Ibid., Pages 31 – 32
« nos âmes se sont corrompues à mesure que nos
sciences et nos arts se sont avancés à la perfection. Dira-t-on que c'est un
malheur particulier à notre âge ? Non, messieurs ; les maux causés
par notre vaine curiosité sont aussi vieux que le monde. »
Ibid., Page
33
«
Socrate avait commencé dans Athènes ; le vieux Caton continua dans
Rome de se déchaîner contre ces Grecs artificieux et subtils qui séduisaient la
vertu et amollissaient le courage de ses concitoyens. »
Ibid., Page
44
(Rousseau
se revendique alors de Socrate.)
« Jusqu’alors les Romains s’étaient contentés
de pratiquer la vertu ; tout fut perdu quand ils commencèrent à
l’étudier. »
Ibid., Page
45
« Caton le Censeur [-234 ; -149],
l’un de ces « laboureurs » rugueux des temps heureux primitifs
évoqués plus haut, hostile aux études de grec (Plutarque [46 – 125], Vie de Caton le
Censeur). […] sa lettre
95 « contre les sciences et les arts », d’importance capitale
pour le Discours de Rousseau »
Jacques
Berchtold
« On nous enseigne à disputer, non à
vivre »
Rousseau
« Romains, hâtez-vous de renverser ces
amphithéâtres ; brisez ces marbres ; brûlez ces tableaux ;
chassez ces esclaves qui vous subjuguent, et dont les funestes arts vous
corrompent. »
Ibid., Discours sur les sciences et les arts, I, Page
46
« Austère,
il [Fabricius] est moins l’ennemi des arts et des sciences que de la
gastronomie […]. On trouvera des prises de position similaire dans les Confessions, concernant l’ascèse diététique de
Rousseau. »
Jacques
Berchtold
« « Vaisselle d’argent et habits de pourpre sont
utiles aux tragédiens, non à la vie. » »
Diogène Laërce
« Peuples, sachez donc une fois que la nature
a voulu vous préserver de la science, comme une mère arrache une arme
dangereuse des mains de son enfant. »
Rousseau, Discours sur les sciences et les arts, I, Page
49
« Les hommes sont pervers ; ils seraient
pires encore, qu’ils avaient eu le malheur de naître savants. »
Ibid.
« il aurait mieux valu n’avoir pas
appris. »
Montaigne, Essais, I, 25
« « Le satyre, dit une ancienne fable,
voulut baiser et embrasser le feu, la première fois qu’il le vit ; mais
Prométhée lui cria : « Satyre, tu pleureras la barbe de ton menton,
car il brûle quand on y touche. » C’est le sujet du
frontispice. »
Rousseau, Discours sur les sciences et les arts, II,
Page 51
« Les sciences et les arts doivent donc leur
naissance à nos vices. »
Ibid., Page
52
« Dans
le Prologue de son Anatomie de la mélancolie,
Burton démontrait la vacuité des livres et s’en prenait avec beaucoup de hargne
aux lettrés. »
Jacques
Berchtold
Rousseau est :
« auteur du Premier
Discours, pédagogue d’un genre humain jugé dénaturé, et prédicateur de
la vérité auprès des élites parisiennes courtisanes, perverties par des siècles
de civilités. »
Jacques Berchtold, Introduction au Discours sur les sciences et les arts de Rousseau, Poche, Page 6
De ce
fait, il est nécessairement incompris de ses contemporains :
« L’entreprise, démesurée dans son ambition, s’annonce
par avance incompréhensible à l’entendement des élites cultivées et proclame
par avance aussi son échec. »
Ibid., Page 8
Rousseau
se retrouve alors dans la même position qu'Ovide face aux barbares Scythes et
Sarmates lors de son exil près de la mer Noire.
Rousseau
est :
« Une sorte de « Diogène moderne » sobre et
vociférateur brandissant sa lanterne dans la nouvelle Athènes corrompue – […]
dans une position de radicale intransigeance. »
Ibid., Page 16
« Dans la Dernière réponse à Bordes et dans la Préface
de Narcisse, on le voit avancer en
visionnaire vers un horizon toujours plus englobant de son système et vers la
formulation de la critique de l’organisation politique de la société qui sera
bientôt théorisée dans le Discours sur
l’origine de l’inégalité [1755] et dans le Contrat
social [1762]. »
Ibid., Page 17
Il s’agit
de :
« remettre en cause, bientôt, l’idéologie
« encyclopédique » des Lumières, les valeurs culturelles établies,
voire le consensus de la France monarchique confiante dans le Progrès. »
Ibid., Page 19
Rousseau,
c'est donc l'anti-Lumières.
Rousseau rêve d’une société retrouvant, sous le
vernis de la culture, « le pur état de nature ». Dans son Discours sur les sciences et les arts, il déplore « les désordres affreux que
l’imprimerie a déjà causés en Europe ». Rousseau
était scandalisé du fait que des livres aient pu conserver « les
dangereuses rêveries des Hobbes et des Spinoza ». Dans un tel contexte, la culture, c’est ce qui dénature.
C / La défense de la culture :
Or, la
culture n’est pas à dénigrer à ce point, bien qu’elle puisse comporter
certaines dérives qui donnent raison à Rousseau, Locke et Montaigne. La culture
est alors défendue, notamment en Sorbonne où a été prononcé un Discours aux élèves, le 12 août 1751, intitulé
A quel point la Vertu est débitrice des Lettres.
La question de l’Académie de 1752 poursuit en ce sens en proposant « Que
l’amour des Lettres inspire l’amour de la Vertu ».
« En 1750, Turgot [1727 – 1781] soutient en Sorbonne une
thèse sur les progrès de l’esprit humain, dans laquelle il montre l’humanité
passer de l’état du chasseur au pasteur puis au laboureur et émet l’idée que
bientôt viendra l’état d’entrepreneur. »
Jacques Berchtold
Le
discours progressiste se développe alors contre celui de Rousseau.
D’ailleurs,
la critique rousseauiste de la science semble infondée aux yeux de
certains :
« le vice n’a point pour
mère la science
Et la vertu n’est pas fille
de l’ignorance »
Agrippa
d’Aubigné (1552 – 1630), Les
Tragiques, 1616, II
Dans une conception humaniste, la culture est ce par
quoi l’individu accède à l’humanité en développant en lui les dispositions
naturelles en vue d’une fin suprême qui est l’amélioration de l’état du monde.
Il s’agit
ici de cultiver ce que la nature met à notre disposition. En effet, si cette
culture n’est pas réalisée, les dons naturels sombreront dans l’inutilité.
Une telle conception refuse de confondre la culture
avec une simple somme d’activités diverses, de connaissances disparates et de
curiosités superficielles. A la dispersion mentale et à l’intérêt mondain pour
les dernières nouveautés, elle oppose le culte des humanités
(c'est-à-dire des savoirs classiques), le
retour aux sources de la connaissance humaine, le goût pour la synthèse et
l’encyclopédie, l’intérêt intellectuel pour toutes les civilisations et la
priorité accordée aux fins de toute culture. L’Idée d’une république parfaite à
laquelle participeraient, dans une même culture de ce qui est spécifiquement
humain, toutes les valeurs de l’espèce humaine et qui serait gouvernée par les
règles de la justice ne doit pas être regardée comme chimérique. C’est
« l’Idée d’une perfection qui ne s’est pas encore rencontrée dans
l’expérience » (Kant) mais qui pourra l'être, et seule une telle Idée peut donner à la culture un sens
universel. La véritable culture intellectuelle vise l’universalité.
- L’utilité de la culture :
La culture
peut également être considérée selon les profits qu’elle permet.
Exemple :
Le fleuve
jaune était sujet à de nombreuses crues qui dévastaient les cultures.
L’empereur chinois Yu a convaincu les chefs de clans de construire un vaste
réseau de canaux qui diviseraient la force du fleuve en canaux d’irrigation.
Son projet a fonctionné et cette réalisation est la preuve que l’homme peut se
rendre « comme maître et possesseur de la nature. » (Descartes).
- La culture rassemble les hommes :
La religion, qui est une partie de la culture,
s’ouvre à la communion culturelle par le livre qui
a une visée universelle.
Aujourd’hui, Hobbes, Spinoza, Leibniz et Rousseau sont heureusement réunis dans la liste des auteurs
du programme de philosophie et leurs ouvrages voisinent paisiblement sur les
rayons des bibliothèques. De même, la Bible et le Coran voisinent avec Aristote, Pascal et Goethe dans la Bibliothèque de cent cinquante volumes que Comte composa pour la culture du « prolétaire du XIXème
siècle ». Bachelard (1884 – 1962) n’imaginait
le Paradis que sous la forme d’une immense bibliothèque. En effet, on peut
rêver que, par-delà leurs antagonismes, toutes les civilisations, toutes les
religions et tous les cultes ne sont que des avatars d’une seule et même
culture qui est celle des dispositions naturelles de l’humanité en vue de
l’édification d’une Bibliothèque universelle librement ouverte à tous.
Internet
pourrait alors être la réalisation de ce projet de bibliothèque universelle
alors numérisée.
- La finalité de la culture :
La
culture, l'éducation, n'est pas là pour faire des spécialistes, des experts
dans tel ou tel domaine, mais doit donner une vue d'ensemble sur le Tout en vue
du jugement en toute autonomie et en toute connaissance de cause de l'individu
alors libre.
- L’idéal de progrès :
Kant, dans son Propos
de pédagogie (1803), dit que le progrès
de l’humanité n’est pas une nécessité métaphysique, mais un devoir moral. La
possibilité du progrès humain dépend de la place que prendra, dans l’histoire
des hommes, l’éducation qui doit, par la discipline, « dépouiller
les hommes de leur sauvagerie » et, par la
culture, les « mettre en possession d’une aptitude suffisante pour
toutes les fins qu’ils peuvent avoir à se proposer. ».
- La culture est-elle nécessaire ?
La culture
est ce qui est proprement humain, l'état civil qui se distingue de l’état de
nature.
La
nécessité est : « ce qui ne peut pas être autrement qu’il n’est. » (Aristote), ce qui est inéluctable. Dans un
autre sens de la nécessité, la culture, en tant qu’elle serait une exigence,
serait nécessaire, c’est-à-dire indispensable. Ici, on sous-entend qu’il serait
possible de vivre sans culture mais que cela ne serait pas souhaitable.
La culture
est-elle inéluctable et souhaitable ? Est-il possible de vivre sans culture et,
si oui, est-ce souhaitable ?
La
question est donc de savoir si le fait de quitter l’état de nature au profit de
l’état civil relève de l’inéluctabilité ou bien si la vie dans l’état de nature
est possible, voire, souhaitable.
Afin de
répondre à cette question, nous verrons d'abord en quoi la culture est
inéluctable. Pourtant, nous mettrons en question la possibilité de l'état de
nature. Enfin, nous dirons que l'état civil est une exigence.
I / La culture est inéluctable.
La
question que pose l’exemple de Diogène est celle-ci : peut-on vivre sans
culture ?
La
question semble à première vue évidente : oui, étant donné qu’il y a des
incultes.
Cependant, le
terme « inculte » s’applique à la culture prise comme étant
l’ensemble des connaissances qui distinguent les individus entre eux. Or, bien
qu’il puisse y avoir des incultes en ce sens, la question est ici de savoir
s’il existe des hommes sans culture, c’est-à-dire des hommes qui en seraient
resté à l’état de nature, des sauvages. Le « passage » de l’état de
nature à l’état civil est-il nécessaire ?
Diogène
semble revendiquer la possibilité de vivre sans culture, c’est-à-dire selon sa
seule nature. Il vit donc comme un animal.
Pourtant,
vit-il réellement sans culture ? Ne vit-il pas dans une amphore brisée,
amphore qui a été produite par les hommes ? Un homme qui voudrait se
rendre à son animalité serait contraint, du fait de la faiblesse de la nature
humaine, de fabriquer des outils, ne serait-ce que pour aller chasser ou pour
cueillir ce que la nature lui offre. Ainsi, le « passage » de l’état
de nature à l’état civil, au monde de la culture se fait, pour ainsi dire,
naturellement. La culture est donc nécessaire :
« L’homme par nature n’est pas une biologie, un corps et
un cerveau auquel il suffirait d’ajouter une pincée de culture, de parole et
l’âme pour faire jaillir la condition humaine. L’homme est par nature un être
de culture. »
Boris Cyrulnik, L’Ensorcellement
du monde
Si l’on
considère ce que rejette ici Boris Cyrulnik, si l’homme n’était qu’une
« biologie, [qu’] un corps et un cerveau auquel il suffirait d’ajouter une
pincée de culture, de parole et l’âme pour faire jaillir la condition
humaine », alors on pourrait, de manière hypothétique, faire de tout être
vivant un être de culture à l’image de l’homme. Or, il y a bien une différence
d’essence, et non de degré, entre l’homme et l’animal. Ce qui fait la
particularité de l’homme qui le différencie essentiellement de l’animal, c’est
que l’homme est « par nature un être de culture ». Il dispose de la
parole de manière libre alors que l’animal ne peut que se contenter d’émettre
des sons pour échanger des informations. Un de mes professeurs disait qu’il
suffit d’un larynx pour émettre des bruits mais qu’il faut une âme pour émettre
du sens réfléchi. L’homme a une âme. L’âme peut s’entendre ici en deux sens :
- L’âme cartésienne, c’est-à-dire que l’homme dispose d’une faculté de réflexion.
- L’âme religieuse qui sera jugée le jour du Jugement Dernier.
L’animal
ne peut réfléchir à ses actes, que ce soit avant, pendant, et après. Il ne fait
que réagir. Il ne dispose que de son instinct. Il n’a donc pas d’âme au sens
cartésien. (Il n'a pas non plus d'âme au sens religieux.) Ce qui distingue l’homme de l’animal, c’est
ici la raison, le logos qui est à la
fois parole et raison. L’animal n’atteindra jamais ce stade car il y a entre
l’homme et l’animal une différence de nature. La différence entre l’homme et
l’animal est radicale : tandis que l’homme est libre, l’animal est soumis
à sa nature nécessitante.
La
spécificité de l’homme qu’est la raison s’entretient afin de la porter à
l’entéléchie, c’est-à-dire à son plus haut degré d’efficience. Ainsi, il faut
cultiver ce qui fait la culture :
« employer toute ma vie à cultiver ma
raison »
Descartes, Discours de la méthode, III :
« Quelques règles de morale tirées de la méthode », Classiques
Larousse, Page 33
Ainsi,
afin de répondre à la question, nous pouvons dire que le passage de l’état de
nature à l’état civil est nécessaire. « L’homme est par nature un être de
culture. ».
II / Un état de nature impossible ? :
L’homme,
étant « par nature un être de culture », conserve-t-il alors le
moindre comportement que l’on pourrait qualifier de
« naturel » ? Qu’est-ce qui est naturel chez l’homme ?
Mis à part
nos besoins qu’il nous faut satisfaire, nombre de nos comportements sont
considérés comme naturels alors qu’ils ne le sont pas :
« Il n’est pas plus naturel ou pas moins
conventionnel de crier dans la colère ou d’embrasser dans l’amour que d’appeler
table une table. »
Merleau-Ponty (1908
– 1961), La Phénoménologie de la perception
En effet,
la colère ou l’amour peut s’exprimer de bien des manières, comme il y a bien
des langues sur la Terre. Le cri et le baiser sont donc conventionnels,
culturels, et non naturels. Il en va de même pour les pleurs : alors qu’ils
sont signes de tristesse et/ou de désespoir en Occident, chez certaines tribus,
les pleurs sont la manifestation de l’accueil de l’étranger. Il en va encore de
même en ce qui concerne les couleurs : alors que le deuil se porte en noir en
Occident, il se porte en blanc dans d’autres parties du monde. Il y a donc une
certaine relativité des pratiques culturelles au lieu où elles sont et aux
individus qui les réalisent :
« Autant de têtes, autant d’avis. »
Montaigne
Ainsi, il
y a toujours un univers social caractérisé par
un réseau complexe d’usages, d’habitudes et d’attitudes conservés par la
tradition qui varie selon les lieux et les individus :
« Les techniques de chasse du Bushman sud-africain, la
croyance de l’Indien nord-américain dans la sorcellerie, la tragédie grecque de
l’Athénien sous Périclès [-495 ; -429], la dynamo électrique de
l’industrie moderne, sont tous sans distinction des éléments de culture à part
entière … De ce point de vue, tous les êtres humains, ou du moins tous les
groupes humains, ont une culture, bien que leurs différences puissent être
considérables et leurs degrés de complexité très inégaux. Pour l’ethnologue, il
existe de nombreux types de culture et une variété infinie d’éléments de
culture, sans qu’il leur associe jamais aucun jugement de valeur. »
Sapir
La culture signifie l’acquis social, quel qu’il soit.
La
consommation de viande, par exemple, qui semble a
priori naturelle pour l’homme, n’est en réalité que culturelle. Des
représentations culturelles viennent se greffer à la consommation de cette
viande. En effet, consommer de la viande, c’est, pour l’homme, pour le mâle
anciennement chasseur, le moyen d’exprimer sa virilité peut-être perdue, ou, du
moins, moins visible du fait du progrès vers l'égalité homme-femme. Sur le plan
socio-économique, en Chine, manger de la viande, notamment des hamburgers, est un signe extérieur de
richesse. Et même au-delà de ces représentations culturelles, la consommation
de viande est, dans son ensemble, un produit culturel, un comportement
artificiel (et non naturel) de l’homme. En effet, l’homme pourrait être un herbivore,
un végétalien, sans avoir de carence alimentaire.
Outre ces
différences entre les cultures, Sartre va
plus loin en niant l’existence même d’une nature humaine. L’homme serait alors
définitivement être de culture en n’ayant rien de naturel. L’homme ne serait
donc pas un animal : il serait uniquement homme, c’est-à-dire homme
culturel. Sartre inscrit son projet de nier la nature humaine dans l’expression
de son athéisme :
« Il n’y a pas de nature humaine, puisqu’il
n’y a pas de Dieu pour la concevoir. »
Sartre, L’existentialisme
est un humanisme, 1945
L’existence
même d’une nature humaine est insupportable pour Sartre qui rejette toute forme
de déterminisme. Que l’homme soit soumis à une nature, et, pire, à une nature
créée par Dieu, prive, selon lui, l’homme de sa liberté (au moins du point de
vue absolu qui serait celui de Dieu). L’homme ne serait plus dans la
contingence (qui est le contraire de la nécessité) mais il serait contraint de
suivre ce que lui dicte la nature, c’est-à-dire, indirectement, Dieu. Or, pour
Sartre, l’Homme est essentiellement une liberté inscrite dans la contingence.
L’existentialisme est donc une revendication de la contingence contre tous les
déterminismes. L’existentialisme est ici un humanisme athée qui oppose la
liberté humaine dans l’existence au nécessitarisme de la nature et/ou de Dieu.
Ainsi, il ne semble pas y avoir de nature humaine, du moins chez Sartre. Par là
même, il n’y aurait donc pas de sauvages, de barbares, de sans culture. Le
sauvage ne serait alors qu’un mythe.
III / L'état civil est une exigence.
L'état
civil n'est pas seulement inéluctable, il est également souhaitable. En effet,
cela nous permet de ne pas sombrer dans la « guerre de chacun contre chacun »
(Hobbes).
- La culture est-elle la technique ?
Nous
avions parlé des outils qui étaient nécessaires à l’homme pour se défendre dans
la nature, ce qui faisait de l’homme un être naturellement culturel.
Pourtant,
la culture peut-elle être associée à la fabrication d’outils ? La question
semble légitime car l’expérience a pu montrer que des animaux comme des singes
sont capables de fabriquer des outils sommaires. La culture ne serait alors pas
le propre de l’homme ?
Or, la
culture ne peut être assimilée à la technique. En effet, comme nous l’a montré
la pensée sartrienne, ce qui est culturel est nécessairement du ressort de la
contingence, et non de celui de la nécessité, qu’elle soit naturelle et/ou
divine. Ainsi, il ne peut y avoir de culture du nécessaire.
La
question est alors de savoir si cette affirmation selon laquelle il ne peut y
avoir de culture du nécessaire est vraie ou bien s'il est possible de penser un
lien entre culture et technique.
Afin de
répondre à cette question, nous verrons d'abord en quoi la sphère culturelle
est imperméable à la technique. Cependant, nous tenterons tout de même de
penser la possibilité d'une culture technicienne. Enfin, nous verrons
qu'associer culture et technique constitue un problème de représentations du
monde, et, peut-être, de générations différentes.
I /
Culture / Technique :
La
nécessité, c’est ce qui est du ressort de la nature, des lois de la nature.
Or,
l’homme reste libre dans le monde de la culture. Il n’est soumis qu’à sa propre
volonté. Ainsi :
« La technique
et la science ne peuvent constituer une authentique culture, car elles
présentent leurs solutions comme nécessaires sans laisser de place à une
liberté de choix entre des possibles ; une véritable culture est toujours
symbolique et traditionnelle, enracinée dans une histoire et un lieu
particuliers.
La technique est donc antihumaniste ; la seule issue est
dans le retour à la tradition, à la
civilisation du symbole et du verbe, nommément la culture chrétienne. »
Gilbert Hottois, « La technoscience : entre
technophobie et technophilie. »
Gilbert
Hottois définit ici la culture par le symbole, la tradition, et par les racines
historiques et géographiques. En effet, la culture anglaise n’est pas la
culture française. Il y a également des différences culturelles, parfois
amusantes, entre différentes régions d’un même pays. Ainsi, contre le
nécessitarisme de la technique et de la science, Hottois en appelle à un retour
à la culture au sens de tradition et de symbole qui laisse libre l’imagination
et la pensée : la Parole (divine) contre les normes techniciennes. Hottois
défend ici la culture chrétienne mais cela pourrait s’appliquer à d’autres
cultures, voire, à toutes. Ainsi, la culture semble s’opposer à la technique.
La culture serait contingente et libre, tandis que la technique et la science
seraient implacablement nécessaires. Ainsi :
« Une culture technicienne est essentiellement
impossible. (…) C’est un abus […] de non-sens. »
Ellul (1912 – 1994), Le bluff
technologique, 1988
II / La culture technicienne :
Pourtant,
une culture technicienne semble envisageable pour Simondon (1924 – 1989) :
« c’est la culture qui doit incorporer les ensembles
techniques en connaissant leur nature, pour pouvoir régler la vie humaine
d’après ces ensembles techniques. La culture doit rester au-dessus de toute
technique, mais elle doit incorporer à son contenu la connaissance et
l’intuition des schèmes véritables des techniques. »
Simondon, Du mode d’existence
des objets techniques
Cette
culture qui est au-dessus de la technique n’est donc pas assimilable aux
techniques elles-mêmes. Cette culture, c’est la raison, le logos proprement humain. La culture n’est donc
pas la technique mais une culture qui intègre la technique reste envisageable,
et, pour Simondon, souhaitable. Pour qu’une telle intégration de la technique
par la culture ait lieu, il faudrait que la culture traditionnelle analyse ce
qu’est véritablement la technique pour la comprendre. Rien que le fait
d'associer la technique aux outils comme nous l’avons fait naïvement occulte
toute l’analyse heideggérienne de la technique qui en fait une entité autonome.
La technique est une réalité qui s’autonomise et qui régit nos vies sans que
l’on en ait particulièrement conscience. Tout se pense sur le mode technique.
Il s’agit d’être performant, efficace, d’avoir une machine corporelle en bon
état, et d’interagir intelligemment avec autrui en société, comme le font les
rouages d’une machine bien huilée. La culture classique semble dépassée face à
l’autonomisation de la technique :
« La culture traditionnelle, à dominante littéraire, qui
continue de former les élites, n’est plus appropriée pour l’assimilation et la
régulation sociales de l’univers technoscientifique contemporain. Elle inclut
des représentations de la technique et du rapport de l’homme au monde naturel
et technique dépassées, comme, par exemple, la représentation de la technique
sous la forme d’une gigantesque boîte à outils, alors que la technique s’est
faite de plus en plus […] systémique et englobante. L’incapacité de la culture
dominante à intégrer la technoscience contemporaine engendre une série d’effets
pernicieux : résistances, dysfonctionnements, sentiments d’aliénation et
d’angoisse, dont la technophobie constitue une expression. Cette incapacité
entraîne une dissociation entre ceux qui savent et tous les autres
technoscientifiquement incompétents. La dissociation conduit, d’une part, à la
prolifération chaotique de techniques qu’aucune culture commune ne vient plus
réguler ; d’autre part, à un repli réactionnaire de la culture
traditionnelle, qui s’autonomise aussi, dans la mesure où elle n’est plus en
prise sur la réalité technoscientifique. »
Gilbert Hottois, « La technoscience : entre
technophobie et technophilie. »
Le « repli
réactionnaire » prend par exemple la forme du rejet des smartphones chez
certains anciens.
Il
faudrait alors révolutionner la culture classique afin qu’elle intègre en son
sein la technique. Pour ce faire, il faut d’abord comprendre ce qu’est la
technique. Cela évitera un rejet irréfléchi de la technique et de ses
productions, ainsi qu’un repli identitaire réactionnaire qui est une
manifestation de l’angoisse de la rencontre avec l’extérieur. La culture n’est
donc pas la technique mais la culture doit se rendre technicienne. La culture
doit intégrer la technique.
III / Un clivage générationnel :


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